La Guerre d'Éraldosse

Année

Événement

Auteur

Guilde

1003

Grande Bataille

Halbert


Le conflit qui est aujourd’hui connu sous le nom de la Bataille d’Orapal Tamas ne devait pas, à ses débuts, faire s’opposer des centaines de combattants et des dizaines de guildes. En fait, ce ne devait même pas être un conflit. Les Mages de Díedne, chez qui je suis adepte, avaient pris connaissance de l’existence d’une crypte qui, selon les textes anciens, abritait de nombreux objets aux divers pouvoirs occultes. Désirant en savoir plus et voulant protéger l’Équilibre des Mondes, nous avions décidé de marcher vers la région d’Éraldosse où les textes affirmaient que se trouvait cette ancienne école de Magie du nom d’Orapal Tamas.

Ce qui ne devait être qu’un voyage d’études et d’explorations devint rapidement un conflit aux enjeux majeurs. C’est au travers d’extraits de mon journal personnel que j’ai pris les passages nécessaires à l’écriture de ce récit. Sans avoir le caractère neutre que l’Histoire requiert, vous trouverez tout de même dans cet ouvrage les grandes lignes de ce conflit. N’y cherchez pas l’impartialité ou l’objectivité, elles n’étaient pas au premier plan de ma pensée lorsque je notais certains faits. Ce sont mes sentiments, mes idées et mes opinions qui forment le récit de mes expériences personnelles se rattachant, de près ou de loin, au conflit qui nous opposa à la guilde de Salmarak et dont nous sortîmes grands vainqueurs.

Halbert
Adepte de la Sphère de la Terre
Minister de Díedne


De ce qui mena à la guerre

Extraits tirés de mon journal personnel.

An mil deux des Terres du Centre, neuvième jour du onzième mois, Domaine de Trappe, province impériale de Mariembourg

Cela ne fait que quelques jours que je profite du calme et du confort de ma demeure en Mariembourg et que je soigne mes blessures, souvenirs, entre autres, de nos combats en Rissa contre c’est on-ne-sait-plus-trop-quoi de la Castenza (sont-ils marins, marchands, hommes de foi ou combattants? Aiment-ils la Magie ou ne l’aiment-ils pas? Partisans de la Reine Malika ou du Roi Léotaut?). Quelques blessures, mais à peine, et aucune sévère, me viennent du conflit qui opposa le Seigneur de Ghoria, que nous avons appuyé, et le Duc de Buy, où ce dernier montra, une fois de plus, son incompétence à mener à bien une campagne militaire.

Je profite donc tranquillement de la fin de l’automne, saison que je préfère à toutes autres. La mer orientale n’étant qu’à quelques lieues du domaine que je gère pour le compte de la Tour de Díedne, l’air automnal est doux et agréable. Les boisés environnants sont flamboyants de feuilles dorées, l’odeur si envoûtante de cette saison vous emplit les narines d’un agréable arôme que les mots seuls ne sauraient décrire et le comportement des animaux rappelle que l’hiver et ses conditions difficiles seront bientôt à nos portes. Nos paysans sont depuis quelques jours affairés à engranger les céréales et à préparer leurs demeures avant que tombent les premières neiges. Même ici, quelques serviteurs s’assurent que tout est prêt pour l’arrivée des grands froids.

Mais, moi qui croyais pouvoir profiter d’une saison hivernale paisible passée devant la cheminée, à étudier les livres que m’a laissés Maîtresse Yasraena, à rédiger le récit de nos campagnes en Dendroica et celles du Seigneur Baey en Reikwald ainsi qu’à consigner les nombreuses idées et rumeurs qui peuplent ma tête, j’ai aujourd’hui vu mes espoirs brisés. C’est en effet en fin de journée qu’Elgar Victorinox, messager des Tours, est arrivé au châtelet avec dans sa besace une missive signée de la main de Maîtresse Åsa, missive adressée à son époux, Egill Henrikson. Le contenu ne le concernait cependant pas uniquement : Maîtresse Åsa réunit le Conseil à la Tour. Il nous faudra donc, le capitaine I-Hann Dragonar, le trésorier Egill Henrikson et moi, quitter vers Ghoria. Ce temps de l’année qui m’est si cher signifie aussi qu’une fois arrivés à destination, nous devrons y demeurer tout l’hiver, car les routes seront impraticables. Ce fait ne me déplaît guère, puisque je serai à la fois dans le confort de la Tour et à l’abri des regards disons, inquisiteurs, de mes voisins de fief. En fait, ce que je crains le plus, c’est plutôt que nous soyons pris par les premières tempêtes. Je n’aime pas particulièrement la chaleur de l’été, en fait je la déteste, mais je ne chéris pas plus l’idée de devoir voyager dans un blizzard. Et comme la province de Ghoria partage sa frontière nord avec le royaume de Nasgaroth, l’hiver y sévit sans pitié, et tôt.

Il me faut bien sûr me plier à la convocation de la Maîtresse de la Tour et me rendre en Béthel. Le capitaine Dragonar a pris en charge les préparatifs du voyage, ce qui me fait penser que tout sera pour le mieux et que nous chevaucherons en sécurité et rapidement.


An mil deux des Terres du Centre, dix-septième jour du onzième mois, Domaine de Trappe, province impériale de Mariembourg

Les préparatifs en vue du voyage qui nous attend sont enfin terminés. C’est avec cinq Hécates, les soldats de la Tour, que nous ferons la route jusqu’à Béthel. Quelques soldats demeureront en Trappe afin de s’assurer que tout ici ce déroule dans l’ordre pendant notre absence.

Le capitaine a établi un itinéraire à la fois sûr et rapide qui nous évitera de quitter les routes principales. Nous rejoindrons tout d’abord la route impériale du Tracé de Polignac où nous chevaucherons vers l’ouest jusqu’en Ekengrad et, de là, nous tournerons bride au nord, vers le Chemin du Corlieu, pour finalement rejoindre Ghoria sur ledit chemin.

Malgré mes appréhensions de passer en plein cœur de la province d’Ekengrad, nouvellement sous juridiction Rédemptoriste après que des événements mystérieux s’y soient déroulés au village de Logneraie et que la cité chaotique de Garganesh y ait étendu son influence, je dois avouer que le Wardon Capum dit vrai lorsqu’il affirme que neuf personnes peu armurées ne devraient pas trop attirer l’attention des hommes de la Dame, qui ont bien d’autres chats (lions enragés seraient plus juste) à fouetter. Ces arguments ont du sens mais, en tant qu’Adepte, je ne me sentirai en sécurité que lorsque nous aurons quitté l’Ekengrad. Il ne fait aucun doute à mon esprit que notre départ ne passera pas inaperçu et que notre chevauchée sera mise sous surveillance intensive.

Le départ est prévu pour après-demain. Aujourd’hui, le temps est maussade, la pluie tombe dru et ne semble pas vouloir s’arrêter de si tôt. Un vent du nord laisse présager une route plutôt désagréable.


An mil deux des Terres du Centre, vingt-huitième jour du onzième mois, Domaine de Trévoux-le-Haut, province impériale d’Ekengrad

Trévoux-le-Haut… Ce coin d’Ekengrad au pied des montagnes n’est pas très peuplé, mais nous avons tout de même pu dénicher un village, petit et discret, à l’extrémité est du Chemin du Pic. Les gens de la place nous dirent que l’endroit s’appelait autrefois Adamas, qui, dans le vieux langage impérial, signifie « diamant ». À cette époque, la région était riche des nombreuses mines de diamants qui l’entouraient, d’où le nom du village. Puis, vers 950, lorsque les autorités impériales perdirent l’intérêt pour les mines qui avaient été exploitées autant que faire se peut, le village, qui se vida de sa population, fut renommé Fin-de-Pic, car il se trouvait à l’extrémité est du Chemin du Pic. Ce nom lui est resté jusqu’à aujourd’hui et à mon avis lui sied à merveille.

Dame Fortune nous ayant dans ses bonnes grâces, nous fûmes soulager de trouver une petite auberge, déserte bien sûr, mis à part quelques clients réguliers habitants le minuscule hameau. « L’Auberge de la Pioche Brisée », nommée ainsi depuis l’incendie qui la ravagea il y a douze ans, ne se démarque certes pas par l’originalité de son nom et ne permet certainement pas à ses tenanciers de se vêtir d’or, mais elle est malgré tout bien accueillante. L’aubergiste et sa femme semblaient en effet très heureux de voir arriver neuf personnes demandant repas, alcool et chambres. Je me demande bien, d’ailleurs, combien de voyageurs peuvent passer par ici en une année. Après tout, il n’y a rien à voir plus loin, sinon les montagnes et de vieilles mines abandonnées. Peut-être certains ont-ils tenté leur chance en croyant trouver du diamant. Je doute qu’ils aient trouvé quoi que ce soit.

Une ombre au tableau, cependant. Hier, un soldat qui nous accompagne fit arrêter le voyage. Il pointa le doigt à l’est et nos regards s’y tournèrent tous. Au loin, on voyait une fumée d’apparence malsaine, même à cette distance, et tout autour semblait mort. Ainsi, nous avons pu voir, de loin, l’étendue des ravages causés par les sacrifices au Ténamhuac, nous avions devant nous un désert de Garganesh. Je me suis souvent dit qu’il faudrait bien aller étudier ces régions dévastées un jour ou l’autre, mais cette simple vision me fait craindre ce jour qui, je suppose, viendra tôt ou tard, où je devrai fouler ce sol noirci.

De plus, je ne peux m’empêcher d’imaginer que des hommes habillés de noir et blanc épient nos moindres gestes. Vivement que nous rejoignions Ghoria et quittions enfin le « Pays de la Dame »!

Pour en revenir au voyage, nous avons parcouru le Tracé de Polignac sept jours durant et avons quitté en direction du nord voilà quatre jours. Les trois premiers jours de la chevauchée furent bien pénibles car, bien que le temps ni chaud ni froid nous ait fait voir quelques flocons, la pluie reprenait souvent le dessus. Voyager trempé par temps froid est une expérience on ne peut plus désagréable. Depuis, les nuages passent au dessus de nos têtes sans toutefois laisser tomber de pluie ou de neige. Aujourd’hui, le soleil brillait au ciel, rendant le voyage presque agréable. Le capitaine estime que nous rejoindrons le Chemin du Corlieu dans dix jours et, de là, la route vers Béthel devrait prendre une semaine, tout au plus.


An mil deux des Terres du Centre, douzième jour du dernier mois, Domaine de Gilam, province impériale de Ghoria

Ma plus grande crainte s’est avérée fondée. Au levé du jour, ce matin, la neige s’est mise à tomber de façon intense et le temps s’est détérioré très rapidement. Vers le midi, la route était devenue impraticable et il devenait dangereux de continuer. Nous avons donc dû faire halte dans une ferme qui longeait le chemin que nous suivions. Le Domaine de Gilam, où nous nous trouvons, ne se trouve qu’à une journée de marche de Béthel et de la Tour de Díedne. Avant qu’ils ne quittent pour le royaume d’Ozame, les gens de la guilde de Gaïa étaient ici les gardiens des forêts du Duc Hyronimus de Forbach, qui est aussi propriétaire de Gilam. C’est peut-être la raison pour laquelle la route est un peu moins entretenue lorsqu’elle entre dans les bois. Malheureusement, avec cette tempête, je crains qu’il nous faille demeurer ici quelques jours. Quand nous quitterons, notre progression sera lente et difficile.

Pour le moment, je profite de l’hospitalité du fermier et de sa femme, Niklas et Lea, ainsi que de celle de leurs cinq garçons et trois filles. L’arrivée de neuf personnes aurait pu en rebuter plus d’un, mais l’accueil qu’ils nous ont réservé a réchauffé mon cœur malgré la tempête. Le souper en fut un comme ceux de mon enfance et la soirée fut riche en histoires et anecdotes. Lorsqu’ils apprirent que nous nous rendions à la Tour de Díedne, que nous y vivions, et que j’étais instruit du savoir magique, certains d’entre eux semblèrent craintifs, mais je me fis un plaisir de rectifier certaines petites croyances erronées. I-Hann et Elgar leur ont raconté quelques batailles et campagnes militaires, Egill leur a servi plusieurs anecdotes à sa façon et nous leur avons décrit brièvement la vie à la tour. Finalement, le père a dû arrêter ses enfants de poser des questions. La vie paysanne sans politique ni soucis militaires vient parfois à me manquer. Je sais cependant que jamais je ne pourrais retourner à une telle vie. J’ai nagé dans le fleuve du monde politique, qui m’a mené à la mer de lu monde de la Magie. Je ne peux plus revenir à contre courant.

Une fois les plus jeunes couchés, Niklas me fit part de sa crainte de voir ses deux garçons les plus âgés conscrits dans l’armée seigneuriale. Je les regardai tous deux et leur dit que personne parmi nous ne pouvait les empêcher de servir sous la bannière de Ghoria si telle était la volonté du seigneur de la province, mais que je pourrais peut-être, au moins, les recommander au lieutenant de la Compagnie Noire, la troupe de mercenaires indépendante du seigneur Baey, ou encore à Don Miguel ou au Duc Hyronimus, les deux plus hautes instances de ladite compagnie. Je les rassurai et leur fis savoir qu’ils y seraient bien traités tant qu’ils obéiraient aux ordres. Je leur dévoilai que c’est dans la Compagnie Noire qu’Elgar et moi connûmes nos premiers vrais combats et que, finalement, nous ne nous en étions pas trop mal sortis!

Il se fait tard et le sommeil me gagne. Quelques journées de travail nous attendent car nous donnerons un coup de mains aux gens de cette ferme en remerciement pour leur hospitalité. Cependant, je ne crois pas que ce soit suffisant. Ainsi, je parlerai à Egill et lui demanderai de leur donner un solar pour chaque membre de la famille afin que l’hiver ne soit pas trop difficile pour eux. De plus, je ferai en sorte que leurs grains et semences entreposés ne soient ni la proie des rongeurs, ni en proie à la maladie. L’été prochain, leurs récoltes seront luxuriantes…


An mil deux des Terres du Centre, équinoxe hivernal Tour de Díedne, Domaine de Béthel, province impériale de Ghoria

Les précipitations se sont avérées moins importantes que la tempête ne le laissait croire. Nous sommes tout de même demeurés une journée de plus à la ferme et avons aidé Niklas et sa famille à remettre en ordre tout ce que le vent et la neige avait endommagé ou rendu impossible d’accès. Les solars que nous leur avons donnés en remerciement de leur chaleureux accueil semblent les avoir comblés.

Lorsque nous avons quitté, nous avons suivi la route qui, dans les bois, était praticable sans trop grande perte de vitesse. Les congères en bordure du chemin nous permirent de ne pas se perdre.

C’est deux jours plus tard, soit le quinzième jour du mois, que nous sommes arrivés à la Tour, épuisés mais heureux. J’ai retrouvé mes appartements avec joie et ai pu m’entretenir longuement avec Maîtresse Yasraena, lui racontant le voyage et la questionnant sur la raison de la convocation de tous les membres du Conseil. Sur ce, elle ne voulut rien me dire, sinon qu’un messager était arrivé deux jours avant la tempête, portant une missive indiquant que l’Adepte Auvrindar était à une semaine de chevauchée.

Aujourd’hui était jour d’Équinoxe et Maîtresse Åsa tint le conseil au zénith. Je laissai Egill et I-Hann faire un rapport de la situation en Mariembourg et écoutai d’une oreille attentive le compte-rendu de Daerhaun quant à la situation en Rissa. Il semble que les gens de Castenza ne désirent pas voir Arganne partagé et défendu par plusieurs individus, préférant tout conserver pour eux-mêmes, au risque de tout perdre en étant les seuls à lever les armes contre un éventuel envahisseur. Ainsi, ils ne sont prêts à aucune concession et je pressens un long conflit politique qui se dessine à l’horizon…

Lorsque tous les membres du Conseil furent au diapason des derniers événements politiques concernant la Tour, Maîtresse Åsa aborda le vif du sujet. D’une sacoche de cuir noir, elle sortit plusieurs parchemins et un grimoire quelque peu défraîchit. Maître Boréas et Maître Alvarez ne semblèrent aucunement surpris, ce qui me laisse croire qu’une réunion des Maîtres de la Tour avait été tenue bien avant que le Conseil ne soit convoqué. Maîtresse Åsa nous dévoila alors qu’elle connaissait la position d’une ancienne école de magie où auraient été mis en sûreté des dizaines, voire des centaines d’objets aux pouvoirs divers et que ces objets ne demandaient qu’à être trouvés. Cette école, Orapal Tamas, aurait été détruite lors du grand conflit qui fit s’opposer l’Empire et ses provinces du sud. La Maîtresse de la Tour leva la séance en nous remettant tous un document relatant l’histoire d’Orapal Tamas. Rien, cependant, sur la façon dont les documents lui étaient venus en main. Tous ont droit à leurs secrets et il aurait été impoli et peut-être même imprudent de poser trop de questions pour le moment. Avant de quitter, je regardai chacun des maîtres et aucun ne semblait surpris de la nouvelle. Je crois que le capitaine et le trésorier s’en aperçurent aussi.

Un vote aura lieu le dernier jour de cette année pour décider si les Mages de Díedne monteront une expédition armée pour aller chercher ces objets presque oubliés. Il y a fort à parier que ce sera le cas.


An mil deux des Terres du Centre, vingt-quatrième jour du douzième mois Tour de Díedne, Domaine de Béthel, province impériale de Ghoria

J’ai lu et relu les documents concernant Orapal Tamas. Il est surprenant de constater qu’une si grande école de Magie ait pu sombrer dans un oubli si… profond. Il est vrai que l’an 640 fut riche en événements divers : guerres, coups d’état, trahison, victoires éclatantes et défaites écrasantes. Je retranscrirai ici les principales lignes de l’histoire de cette mystérieuse école.

Orapal Tamas a été l'une des plus grandes écoles ésotérique des Terres du Centre. Tous les grands maîtres des écoles de pensées de Kalt et les adeptes de l'enseignement du souffle rouge furent formés là-bas. Les maîtres d'Orapal Tamas consacrèrent une grande partie de leur vie pour étudier et collecter les objets détenant des pouvoirs occultes. En l'an 647 en plein cœur de la période sombre des Terres du Centre, l'école fût complètement détruite alors que la région était mise à feu et à sang par les armées des provinces du nord et du sud. L'école ne fut jamais reconstruite et les villageois ayant survécu au conflit quittèrent définitivement la région pour aller s'installer sur des terres plus propices.

Les histoires racontent que les maîtres d'Orapal Tamas firent mettre à l'abri tous les objets magiques qu'ils détenaient dans une crypte qu'ils murèrent dès le début de la grande révolte en l'an 640 .

D'après les archives et les dires de certains moines copistes, la crypte abriterait plusieurs centaines de parchemins, potions, talismans et armes magiques de diverses origines.


Dernier jour de l’an 1002 Tour de Díedne, Domaine de Béthel, province impériale de Ghoria

Le Conseil se réunit de nouveau aujourd’hui. La décision fut rapidement prise de mettre en branle une expédition pour récupérer les objets de la crypte sous la plaine de Torascon. Le tout sera planifié dans les plus brefs délais. Chacun, à la Tour, du citoyen au maître en passant par le garde et l’apprenti devra accomplir ses tâches avec plus de professionnalisme qu’avant. La tâche qui nous attend est d’une grande importance pour la préservation de l’Équilibre des Mondes.


An mil trois des Terres du Centre, vingtième jour de l’année Tour de Díedne, Domaine de Béthel, province impériale de Ghoria

Les maîtres, le Conseil de la Tour ainsi que plusieurs soldats quitteront dans les prochains jours vers le port de Pamoisardl où se tiendront dans deux mois les festivités de l’Auberge du Galion.


An mil trois des Terres du Centre, vingt-cinquième jour du second mois, Domaine de Trappe, province impériale de Mariembourg

Alors que d’autres habitants de la Tour continuent leur voyage vers Pamoisardl, je reviens en mon domaine pour m’enquérir des dernières nouvelles. Bien qu’il y ait eu quelques morts d’enfants et de vieux à cause d’une sévère grippe, il semble que tout aille pour le mieux. Mes paysans se préparent à l’arrivée du printemps qui se fera, selon les prédictions des anciens, très tôt cette année. En effet, bien qu’en Ghoria il y ait eu beaucoup de neige, il semble que les rigueurs de l’hiver aient épargné l’est de l’Ekengrad ainsi que Mariembourg. Les montagnes et l’air marin sont une bénédiction. Je quitte aujourd’hui vers l’Auberge du Galion. Je devrai pousser ma monture jusqu’au bout de ses forces, ce que j’ai horreur de faire, mais la situation l’exige : je ne peux manquer ces festivités! Avec quelques mots, les bons mots, d’encouragement, mon cheval devrait s’en sortir avec un besoin de se reposer pour quelques jours, sans plus.


An mil trois des Terres du Centre, onzième jour du troisième mois, Domaine de Ranvier, province impériale de Reikwald

Je loge depuis trois jours à l’Auberge du Passeur, établissement très fréquenté puisque son propriétaire possède aussi deux bateaux permettant aux gens de faire la traversée du Reikwald au port de Pamoisardl, le tout pour la modique somme de 20 piécettes. Cet homme doit être très riche, même s’il ne le montre pas.

Elgar m’a retrouvé ce soir pour me faire part des derniers événements et nouvelles. Il semble que tous les gens de Díedne qui devaient se rendre au Galion s’y soient rendus en parfait état. Six chevaux seraient morts pendant le trajet, quatre à cause d’attaques de loups. Ce n’est donc rien de trop dramatique. Déjà, notre trésorier serait à conclure plusieurs ententes commerciales. Maître Alvarez et l’Adepte Auvrindar ont quant à eux repris les négociations avec les gens de Castenza, dont le Duc Morgul DuDrake lui-même. Cette situation finira peut-être par se régler un de ces jours.

Tout ne pouvait si bien se dérouler… Le Messager des Tours m’a apprit qu’une rumeur persistante voulait que des marins aient entendu parler d’une caverne sous-terraine où seraient caché un grand trésor magique. Lesdits marins, toujours selon la rumeur, voudraient faire main basse sur le trésor. Le gens de la Tour enquêtent, mais tout concorde trop pour que ce ne soit qu’une coïncidence. Je devrais me trouver à Pamoisardl dans deux jours tout au plus. Il y a urgence.


An mil trois des Terres du Centre, Équinoxe de printemps, Domaine de Butasard, province arganne de Dendroïca.

Les festivités du Galion sont enfin terminées. Quels moments épuisants, mais ô combien satisfaisants! Ne serait-ce que pour revoir de vieilles connaissances, le voyage en vaut toutes les peines!

Une entente a finalement été possible entre nous et la guilde de Castenza. L’Adepte Auvrindar, chef du domaine de Butasard, a apposé sa signature au côté de celles des autres propriétaires terriens du fief de Rissa pour nommer Bastian Oséric, castenziens et comte en Nasgaroth, au titre de maître du fief. Il s’agit là d’une entente importante et d’un cas de moins sur les épaules du Conseil.

L’importance de cette nouvelle s’est trouvée confirmée il y a une semaine, lors du moment culminant des festivités du Galion, pendant le grand banquet organisé par les dirigeants du port. En effet, alors que nous étions tous deux en pleine discussion l’Adepte Auvrindar et moi, nous fûmes interrompus par des hommes du Duc Salmarak de Buy qui venaient à passer par là. L’un d’eux, complètement ivre, insulta l’Adepte Auvrindar en l’attaquant sur sa nature d’elfe noir et sur son odeur. Ce dernier ne répondit rien, se contentant de fixer l’ivrogne. De mon côté, je signifiai à celui qui soutenait son confrère qu’ils feraient bien d’aller voir ailleurs si nous y étions. Malheureusement, celui qui ne tenait presque plus sur ses jambes recommença à insulter l’Adepte de la Sphère des Âmes. Encore et toujours de faibles insultes par rapport à son odeur. Il va s’en dire que le champ lexical de ces marins-sans-bateau est très limité et se rapproche de celui des paysans quand vient le temps d’engraisser les champs, encore que je connaisse de nombreux paysans dont la liste d’insultes originales est très impressionnante! Et moi qui croyais que les marins étaient des gens colorés et que ça se reflétait sur leur langage… Je devrai me trouver du temps pour étudier ce milieu, peut-être n’ai-je été témoin que de l’exception qui confirme la règle? Peut-être que la frustration des hommes de Salmarak est seulement le fait de se savoir d’ancêtres navigateurs, mais de n’avoir aucun navire? Ou encore de leurs défaites accumulées, telle Liberec, en l’an 1000 , où nous, mercenaires engagés par le Duc de Buy, les avons attendus en vain lui et ses hommes avant de décider, finalement, d’affronter les troupes de l’Ordre de la Rédemption seuls (quel massacre…); ou encore Reikwald, en l’an 1002 , où le poids politique de la Horde de Gorghor Baey a valu à Salmarak une cuisante et complète défaite alors qu’ils se sont écrasés sous le nombre des alliés du seigneur de Ghoria? Tant d’hypothèses, tant de possibilités…

Alors devant de si grandes gueules et si peu d’esprit, je n’ai pu m’empêcher de répliquer. Non pour défendre l’Adepte Auvrindar, qui aurait pu le faire lui-même s’il avait cru que ça en valait la peine, mais simplement par principe et parce que je n’avais, sur le moment, rien de plus important à faire. Bien sûr, Maîtresse Yasraena n’aurait pas approuvé mes agissements, elle qui me trouve par trop impulsif et impatient, mais puisqu’elle n’était nulle part en vue, je me suis permis de petits écarts. J’avais beau trouver des insultes recherchées que je leur lançais une après l’autres, ils en revenaient toujours à dire que l’Adepte Auvrindar puait. Bande d’idiots! Je leur dis que s’il y avait bien une race sur cette terre qui aimait par-dessus tout les choses raffinées, les mets exquis et les parfums, et qui exécrait saleté et mauvaises odeurs, c’était bien les elfes noirs! Ils pouvaient bien les détester s’ils voulaient, mais ils se devaient au moins de les connaître un peu! J’en étais arrivé à penser que je préférais me battre avec eux plutôt que de continuer cette joute verbale qui ne m’apportait aucun défi. Voulant les faire taire une fois pour toute en atteignant leur amour-propre et leur orgueil, je les regardai dans les yeux et leur dis qu’ils se permettaient bien des écarts de diplomatie pour des gens qui n’étaient pas capables de réunir une petite armée de campagne qui serait capable d’offrir au minimum de résistance à l’ennemi. Ce n’eut pas l’effet escompté… L’ivrogne me sourit et, tentant de se tenir droit, me dit « C’est ce que nous verrons cet été.».

Douche d’eau froide… Pendant un moment, je fige et les observe. Tous deux sourient bizarrement et le plus sobre traîne l’autre plus loin, prétextant une envie de se soulager. Des marins, Salmarak? Une grotte, la crypte d’Orapal Tamas? Ça concordait, mais venaient-ils vraiment de se dévoiler? À leur ennemi qui plus est? Je rejoignis l’Adepte Auvrindar, qui s’était désintéressé du débat depuis longtemps et se servait à présent une grande assiette de fruits provenant de l’immense et délicieux buffet. Plus tard en soirée, je réunis le Conseil et leur fit part de ma possible découverte.

Je quitte dans quelques jours pour Trappe, où du travail m’attend. Les maîtres et le Conseil enquêteront.


An mil trois des Terres du Centre, vingt-septième jour du quatrième mois, Domaine de Trappe, province impériale de Mariembourg

Les rumeurs circulaient depuis les festivités du Galion, mais elles se trouvent aujourd’hui confirmées. On nous rapporte que le Comte Salmarak de Buy est en pleine campagne de recrutement. Le trésor d’Orapal Tamas ne sera pas facile à obtenir. Malgré nos revenus faibles et nos coffres presque vides, nous partons en guerre! Pour l’Équilibre! Laisser la guilde de Salmarak mettre la main sur plusieurs dizaines d’objets magiques relèverait de la folie et causerait une véritable catastrophe puisque le but avoué de cette guilde est l’élimination complète de la Magie. Mais ils ne connaissent rien en ce domaine, voilà le vrai danger, le seul danger, car tous les autres découlent de ce simple et unique fait : la guilde de Salmarak ne connaît rien à la Magie. Nous ne nous mêlons aux affaires maritimes, ils ne devraient pas se mêler aux affaires magiques. Comment s’y prendront-ils pour tout détruire? Empileront-ils tout ce qui se trouve dans la crypte dans un coin de celle-ci en y jetant une torche, sans aucune étude? Autant dire à un paysan d’aller se promener près de barils de poudre noire, chandelle à la main!

Les autres membres du Conseil habitant Trappe quitteront vers Béthel sous peu. Il y a trop à faire ici pour que je laisse ma terre. Le trésorier et le wardon capûm (le capitaine) porteront le message de mon départ du Conseil. Je n’y suis pas indispensable et mes idées souvent contraires ne feraient que mettre des bâtons dans les roues de cette entreprise qu’est la guerre vers laquelle nous nous dirigeons. Je compte cependant opérer à partir d’ici afin d’envoyer des yeux et des oreilles au chantier du port de Mariembourg, où sont présents plusieurs gens importants, ainsi qu’en Andore, où le Comte de Buy est vassal de la puissante Brabancourt. Peut-être pourrai-je ainsi apprendre quelque nouvelle d’importance.


An mil trois des Terres du Centre, Solstice d’été, Domaine de Trappe, province impériale de Mariembourg

La nouvelle s’est répandue à la vitesse de l’éclair à travers tout l’Empire et au-delà de ses frontières. L’horreur pur et simple a frappé le Dalabheim. Les pires cauchemars ont prit vie : le Grand Khan de la cité chaotique de Garganesh, Brutus Bubonius, a frappé de puissantes malédictions les domaines de Formont et de Millaux, respectivement propriétés du Saint Ordre du Poing-de-Fer et de la guilde de Salmarak. Selon ce qui s’est dit ici, les champs auraient dépéri au point de n’être plus que de vastes étendues de terre séchée, le bétail serait mort dans d’atroces souffrances, victime d’une peste animale terriblement contagieuse et toute la végétation desdits domaines seraient morte, déformée par les ténébreux pouvoirs du Tenamuahc. Tout ceci n’est rien, car si on en croit les messagers, la population paysanne en entier aurait été prise d’une folie meurtrière sans merci. Les pères auraient tué leur famille, les voisins se seraient battus à mort pour d’obscures raisons et ceux qui ont survécu à ce carnage seraient, pour la plupart, morts de faim ou de maladies innommables.

Certes, que la guilde de Salmarak voit ses revenus et productions réduits à néant devrait me réjouir, car ils sont désormais nos ennemis avoués. Mais trop d’innocents sont morts inutilement dans ces événements, beaucoup trop…

Et sur un plan purement politique (et religieux), les malédictions de Garganesh ne sont pas pour nous aider. Le Saint Ordre du Poing-de-Fer, bras armé de la Vraie Foi, risque fort de s’unir à Salmarak dans cette épreuve. Seul l’avenir nous le dira, mais je crois que la bataille qui se déroulera en Éraldosse dans quelques semaines est, pour nous, perdue d’avance. La Vraie Foi, et surtout le Poing-de-Fer, est une petite cousine de l’Ordre de Notre-Dame-de-la-Rédemption et perdre à Salmarak l’appui militaire de ces deux guildes expérimentées représenterait, à mon avis, une défaite presque certaine, puisqu’il faut prendre en compte qu’elles entraîneront probablement d’autres factions avec elles. Je crois cependant qu’il n’est pas impossible de convaincre la Rédemption du bien-fondé et des avantages qu’il y a à se battre du côté de la Tour de Díedne.

Dans trois jours, je quitterai Trappe avec de nombreux paysans et soldats afin d’aller rejoindre le reste des habitants de Díedne dans la région d’Éraldosse. Très peu de gens resteront derrière, comme très peu sont demeurés à la Tour : nous allons à la guerre.


An mil trois des Terres du Centre, dixième jour du septième mois, Domaine de Trévoux-le-Haut, province impériale d’Ekengrad

J’ai rejoint la chevauchée il y a quatre jours. Tous les Mages de la Tour de Díedne sont réunis et c’est sous bonne garde que nous marchons ouvertement vers la crypte d’Orapal Tamas. En route, on m’apprit deux nouvelles d’importance et, comme rien ne peut toujours être parfait, il y avait une bonne nouvelle et, bien sûr, une mauvaise. La bonne, ou plutôt l’excellente nouvelle, est que nos amis et alliés du Fhaín, à moins d’un improbable changement de situation exceptionnel, nous donnent leur appui politique et militaire quasi inconditionnel dans le conflit à venir. À chaque jour, il semble que les relations entre les Mages de Díedne et le Fhaín ne cessent de se renforcir. Voilà une bonne entente destinée à durer. Vive le Fhaín!

De son côté, la mauvaise nouvelle est plutôt inquiétante. Il est connu de tous que la guilde de Salmarak refusera d’engager et même de négocier avec les troupes dites chaotiques ou mauvaises. Il est aussi connu de tous que nous, Mages de Díedne, le savons. Il semblerait que, voyant leur valeur diminuer puisqu’un des deux côtés refusera de les payer, les troupes du chaos sont à l’œuvre et discutent afin de créer un troisième front. Lors de chaque grand conflit, ou presque, il y a une rumeur d’un front supplémentaire qui sera créé par les gens mécontents et ne pouvant avoir tout ce qu’ils désirent obtenir. Ces fronts se réalisent rarement, étant trop complexes à organiser et, surtout, étant souvent contraints d’être composés d’un nombre de combattant trop minime pour remporter une victoire inattendue. Cependant, les troupes dont il est question aujourd’hui sont dites chaotiques, mais certains de leurs éléments sont de bons stratèges militaires et sauraient rallier à leur cause de nombreux guerriers. S’il venait à se réaliser, ce front, même avec peu de combattants, viendrait assurer notre défaite militaire. Pire qu’une défaite militaire, l’Équilibre des Mondes serait d’autant plus en danger si une telle armée venait à s’emparer du trésor d’Orapal Tamas. Que l’un ou l’autre de nos deux adversaires possède tous ces artefacts signifierait la venue de catastrophes que l’on à peine à seulement imaginer. Nous pourrions rire des malédictions passées du Grand Khan tellement elles nous paraîtraient être mineures.


An mil trois des Terres du Centre, trentième jour de juillet, Région d’Éraldosse

Le camp est monté. La région est encore plutôt déserte, mais ne le restera pas bien longtemps. Nos éclaireurs rapportent plusieurs mouvements de troupes convergeant vers nous. Il semble que nous ayons devancé le gros des troupes de Salmarak. Ils ont certainement quelques espions et éclaireurs dans les parages, mais leur armée se trouve encore à plusieurs lieues de la notre.

Demain, je me rendrai sur la plaine de Torascon afin de noter les particularités du terrain et de ses environs. Tous les plus grands généraux connus ont passé plus de temps à la préparation de la bataille qu’au combat. Si je peux aider Maîtresse Åsa et le capitaine I-Hann à être reconnus comme de grands généraux, ne serait-ce qu’en leur fournissant une carte détaillée de la région, j’en serai plus qu’heureux.

Les jours passent et j’ai peur pour notre avenir. Comment pourrions-nous gagner avec des coffres vides? Je ne sais pas ce que prépare le Conseil, mais il leur faudra réaliser un grand tour de force. Salmarak est bien plus riche que nous le sommes et, comme si ce n’était déjà suffisant, ils sont appuyés par les forces (et la fortune) de Brabancourt.


An mil trois des Terres du Centre, premier jour du huitième mois, Région d’Éraldosse

Maîtresse Åsa a aujourd’hui dévoilé un outil de négociation qui sera des plus utiles : une liste de ce qui se trouverait dans la crypte. Cet inventaire nous sera très utile dans notre campagne de recrutement, car nous pourrons ainsi promettre certains objets en échange d’appuis militaires. Mieux, nous pourrons distribuer les objets à notre convenance, permettant ainsi aux petits comme aux grands de peser dans la Balance de l’Équilibre. Plus encore, nous pourrons nous assurer, en cas de victoire, que certains objets ne tomberont pas en des mauvaises mains. J’ai pu consulter la liste et il y a des objets de grandes puissances qui dorment sous nos pieds.

D’où et depuis combien de temps Maîtresse Åsa a obtenu cette liste, je ne saurais dire. Si elle l’a présentée, c’est qu’elle croit ce qui est écrit. Ce fait me suffit.


An mil trois des Terres du Centre, troisième jour du huitième mois, Région d’Éraldosse

Nos informateurs nous rapportent que Salmarak a aussi mis la main sur l’inventaire de la crypte. Comment? J’aimerais bien le savoir. Le hasard? Je ne crois pas au hasard. De la même source que Maîtresse Åsa? Possible. D’un traître à Díedne? Seule Maîtresse Åsa et les maîtres ont accès à cette liste, qui est d’ailleurs très bien gardée dans les quartiers de la Maîtresse de la Tour. Les autres membres du Conseil y ont peut-être un accès restreint, mais je ne pense pas qu’aucune de ces personnes puisse trahir la Tour, ou bien c’est que j’ai trop peur des conséquences qu’un tel acte pourrait avoir sur nos vies.

Une chose est certaine : nos ennemis connaissent désormais nos moyens de négociation et ce que nous pouvons offrir. Ils connaissent nos moyens, sauf un…


An mil trois des Terres du Centre, septième jour du huitième mois, Région d’Éraldosse

Si le campement est monté depuis quelques jours, il est désormais on ne peut plus accueillant. Le cercle de velours, responsable du maintien de la Tour, a su reproduire ici l’ambiance de notre demeure en Béthel. Les membres du cercle de vélin, responsables de l’accueil des dignitaires, sont parés de leurs plus beaux habits. Les Mages de Díedne sont désormais prêts à la négociation et ils ont leur arme secrète : de l’alcool! Une grande quantité d’alcool! De la meilleure bière impériale au plus doux vin andoréen, sans oublier l’excellent hydromel d’Heden, wardon de Díedne qui s’est découvert des talents de brasseurs! Nous avons aussi des alcools plus costaux, comme l’hypocras de Maître Persil, le vin épicé de Maître Boréas et la fameuse et légendaire Chartreuse de Maîtresse Yasraena. De tout pour tous!


An mil trois des Terres du Centre, huitième jour du huitième mois, Région d’Éraldosse

Aujourd’hui, des messagers accompagnés de Dame Méloïc Von Esper, l’épouse de Maître Boréas, sont allés porter des invitations à toutes les guildes ayant établi leurs campements dans la région et susceptibles de se battre à nos côtés. Tout devrait bientôt être terminé…

De négociations et de tout ce qui les entoure

Ne seront pas exposés ici tous les détails des négociations que nous avons menées en ces jours angoissants qu’étaient ceux précédant ce jour fatidique qui nous verrait mener nos forces contre celles de Salmarak. Ceci par respect de confidentialité envers tous ceux et celles qui ont négocié avec nous et qui se sont battu sous nos ordres.

Je peux cependant affirmer que l’expérience de nos négociateurs (dont le moins talentueux n’est pas le Maître de la Sphère de l’Air, Boréas Von Esper) jumelée à l’hospitalité magienne et aidées des erreurs politiques et à la fermeture d’esprit de nos adversaires auront réussi à créer ce dont tous les Mages rêvaient, mais que personne n’osait imaginer possible : une armée équilibrée. D’un, côté les forces de l’Ordre et du « Bien », à l’opposé, les forces du Chaos et du « Mal » et, au centre, séparant les deux antagonistes, les forces Neutres.

Comme si cela ne suffisait pas nous, Mages de Díedne, avons réunis la plus grande armée jamais vue dans les royaumes connus. Machines de guerre, monstres, armes magiques, soldats expérimentés et disciplinés, tout était sous notre commandement. Voici donc le récit des combats tels que je les ai vécus.

De la bataille pour la crypte

Nous avions installé le campement au sud de la plaine de Torascon, près d’un petit fortin en ruine, et c’est de là que notre armée se déploya. Il fallut longtemps avant que toutes les troupes ne soient rassemblées sur la plaine devant le bâtiment. Les retardataires devaient se tailler une place dans les environs. Déjà, l’herbe de la plaine où se trouvait le fortin n’était plus visible, couverte de soldats, de machines de guerre et d’équipement de toutes sortes. Pour ajouter à la complexité de toute cette logistique, des troupes qui étaient habituellement ennemies cohabitaient d’un peu trop près et la sécurité des combattants s’en voyait diminuée. Les orcs regardaient autour d’eux d’une façon qui ne laissait aucun doute sur le fait qu’ils voulaient en découdre le plus tôt possible et ce avec quiconque. Si rien n’était fait, il y aurait des rixes dans l’armée, rixes qui pourraient rapidement dégénérer en conflits plus importants. Conseillés par les maîtres, les gens du cercle de sang, c’est-à-dire les responsables militaires de la Tour, décidèrent de préparer immédiatement le déploiement des troupes. Du haut du chemin de ronde, ils regardèrent la situation, réfléchissant au meilleur moyen de procéder. Maître Boréas fit alors demander le silence et l’obtint après quelques ordres criés au travers la foule par les différents chefs des factions. Je me trouvais devant la porte du fortin, juste sous la position des maîtres et je vis des centaines et des centaines de visages se tourner vers le haut des remparts.

Mon cœur se serra d’un mélange de fierté et d’anxiété et mes jambes semblèrent vouloir plier sous mon poids lorsque Maître Boréas débuta son discours par les mots suivants, qui semblaient être amplifiés par l’air ambiant : « Soldats des Mages! Vous êtes aujourd’hui réunis dans ce qui est… la plus grande armée jamais levée sur les terres de Bicolline! ». Aucune magie n’aurait pu étouffer les cris de joie guerrière qui suivirent cette annonce. Mon esprit était ailleurs : nous allions gagner!

Je n’ai aucun souvenir du discours Maître Boréas. Tout ce dont je me souviens, c’est d’être revenu à la réalité alors que les troupes formaient la ligne qui allait marcher jusqu’à la plaine de Torascon. De nombreuses devises furent criées, chaque groupe tentant d’élever la sienne au-dessus de celle des autres. C’est ainsi que la marche vers le champ de bataille se déroula. Les troupes chaotiques ouvrirent la marche, suivies de près par les troupes neutres et les mercenaires eux-mêmes suivis des armées de l’ordre et de l’état-major de la Tour. La ligne de soldats était si impressionnante que lorsque les premiers combattants mirent le pied sur la plaine de Torascon, notre état-major n’avait pas encore quitté celle où se trouvait le fortin! Voir ce déploiement est une des choses les plus spectaculaires qu’il me fut donné de voir. L’image de la colonne que formaient les gens du Phoenix, le groupe le plus nombreux que nous ayons engagé, très visibles grâce au rouge et au orange de leurs tuniques, restera à jamais gravée dans ma mémoire.

Lors de notre arrivée sur la plaine, nous vîmes notre armée, ordonnée et prête au combat. Nous vîmes aussi les troupes de Salmarak, masse indistincte dans les bois à l’opposée de la plaine. Nous aurions pu foncer et éliminer l’ennemi, ce qui aurait plu aux orcs et gobelins que nous avions du mal à retenir. Cependant, les lois de la guerre sont chères au cœur de Maîtresse Åsa et elle insista sur le fait que les maîtres devaient l’accompagner lors de négociations de la dernière chance avec l’état-major de l’ennemi.

Lorsqu’ils s’avancèrent au centre de la plaine pour parlementer avec le Comte de Buy, maîtres Alvarez et Boréas emportèrent chacun une bannière aux couleurs de la Tour. Bien que je n’aie pas été présent lors des discussions, je sais que Maîtresse Åsa offrit au comte de déposer les armes et de quitter la région avec ses hommes. Il refusa, bien sûr. Le destin était scellé et les maîtres revinrent vers l’armée, Alvarez et Boréas levant bien haut les bannières et les agitant avec ferveur. Nos troupes éclatèrent une nouvelle fois : cris, armes frappant boucliers, boucliers frappant le sol. Et dans l’attente de l’appel du déclenchement des hostilités, j’entendis l’armée chanter. Moi, qui ai tout de même vécu plusieurs batailles et campagnes militaires, jamais je n’avais entendu chanter une armée en attente. Quel moral! Je réalisai soudain que je regardais nos troupes avec un sourire qui devait paraître plutôt idiot lorsque j’entendis quelqu’un crier mon nom. Je me retournai pour voir Maîtresse Åsa, courroucée, qui requérait mon attention. Nul besoin de dire que je lui donnai toute l’attention qu’elle désirait. Tous les habitants de la Tour avaient un rôle à jouer pendant cette guerre et aucun n’impliquait l’engagement direct des troupes adverses.

Comme je l’ai déjà mentionné, l’armée fut divisée en trois fronts principaux. Sur les flancs de ces trois fronts, deux unités de tirailleurs : une à gauche et une à droite. Chaque front avait à sa tête un maître de la Tour, deux officiers et deux messagers. Le maître avait pour mission de garder la coordination entre les volontés de l’état-major et les actions de son front. Les officiers étaient tous des gens d’expérience, des généraux et des meneurs d’hommes reconnus. Les messagers quant à eux devaient transmettre les messages de l’état-major à leur front et vice-versa.

Le front gauche était dirigé par Maximilien Hein Seizigner, de l’Ordre de Notre-Dame-de-la-Rédemption et par le frère Olaf, du Saint-Ordre du Poing-de-Fer. Tous deux répondaient de Maître Persil, qui avait pour messagers son adepte, Marianne MacGraff et l’apprentie de la Sphère des Âmes, Maërika Saerhminir. Cette partie de l’armée regroupait, entre autres, la Rédemption, le Poing-de-Fer et les gens de Montfort.

Le front central était pour sa part sous la responsabilité de Maître Boréas, qui avait sous ses ordres Jux Ap Vorgrumm, maître de guerre de la Horde de Gorghor Baey et Mordrik Tête-de-Loup, roi d’Ozame. Les messagers pour ce front étaient Elgar Victorinox et moi-même. Composant cette section, les guildes de Castenza et du Phoenix ainsi que les mercenaires que nous avions engagés.

Le front droit, dirigé par Maître Alvarez, avait pour chefs le Grand Khan Brutus Bubonius et le chef des tribus orcs, Thornfill. Leurs messagers étaient Thork-Ale, dit le houblonneux, garde personnel de Maîtresse Åsa et Aïleen Svardiska, à l’époque apprentie de la Sphère de l’Eau et aujourd’hui grande Jokeldotter de Svírïn. Les guerriers du front droit étaient la Légion Infernale, appuyée par les différentes maisons d’elfes noirs, les orcs, les gobelins et les gobelins rouges.

Après quelques minutes d’attente les cors sonnèrent haut et clair et notre armée s’avança dans la plaine, rapidement. Il ne fallut que quelques moments pour que nous prenions le contrôle du centre et du sud. Il en fallut à peine plus avant que Thork-Ale, messager du front droit, vienne avertir Maîtresse Åsa que le Grand Khan avait affirmé voir des tirailleurs ennemis dans les bois et qu’il ne pourrait retenir le sang bouillant de ses troupes que pour un court laps de temps. À cette nouvelle et ne désirant pas voir un front se désagréger petit à petit, Maîtresse Åsa renvoya son messager donner aux troupes chaotiques l’ordre de pénétrer dans les bois et de tuer tout ennemi à vue! C’est ce qu’ils firent, mais non sans difficulté. Il fallut envoyer quelques troupes du flanc central en renfort.

Cela laissait l’état-major, qui était protégé par les troupes neutres, en position un peu plus précaire. Nous nous sommes donc préparés à bouger vers le flanc gauche. Ce dernier était désormais un peu trop au sud et l’ordre fut donné aux soldats de revenir sur leurs pas. Dans une manœuvre militaire des plus ordonnées que seuls des chefs de guerre respectés et des hommes disciplinés peuvent accomplir, le front gauche revint vers l’arrière. Pendant ce temps, le gros des troupes ennemies qui avaient engagé le combat sur le flanc droit avait été éliminé ou mis en fuite.

Nous apprîmes alors que les guerriers du Phoenix que nous avions envoyés en renfort aux troupes chaotiques étaient partis à la chasse-à-l’ennemi. Craignant de voir nos unités tomber dans des embuscades et gardant à l’esprit que le but premier était le contrôle et le maintien de la plaine, Maîtresse Åsa me donna l’ordre de retrouver Jux, qui était parti avec le Phoenix, et de lui faire le message que l’état-major était inquiet et que tous les hommes devaient revenir se repositionner sur la plaine. Je partis donc à la course, regardant de tous côtés afin de détecter toute tentative d’embuscade sur ma personne. Sur mon chemin, je croisai quatre combattants (dont une jolie dame) engagés par la Tour. Je leur demandai de me suivre et de me défendre, quitte à prendre une flèche à ma place. Voyant enfin un soldat du Phoenix, je lui demandai où était Jux, ce qu’il s’empressa de m’indiquer. Je me dirigeai vers le devin et lui fit part du message de Maîtresse Åsa. Il donna aussitôt l’ordre à ses hommes de rebrousser chemin, dans l’ordre, et de retourner sur la plaine, ce qu’ils firent. M’en retournant avant eux, à la course, pour faire un rapport à l’état-major, je me rendis compte que ceux à qui j’avais demandé de me suivre et de me protéger ne l’avaient pas fait. Si j’avais su leurs noms, j’aurais fait couper leur solde! Mais l’épuisement de la course m’enleva toute rancœur de l’esprit. Mon compte-rendu fait, je m’affalai, épuisé, écrasé par la chaleur. Je pris quelques gorgées d’eau ainsi qu’un long moment pour reprendre mon souffle. Décidément, je passe trop de temps dans les laboratoires de Maîtresse Yasraena et pas assez à l’entraînement. Je devrai y remédier…

L’état-major se rendit bientôt compte que les bruits de combat avaient cessé et que les groupes et guildes qui nous étaient alliés revenaient lentement vers la plaine. Les chefs de flanc firent leur rapport, mis à part Brutus, qui était tombé au combat mais qui recevait déjà les bons soins… du moins, les soins, de ses guérisseurs. L’ennemi était en fuite. Quelques groupes plus importants se regrouperaient peut-être pour mener un dernier assaut. Malgré tout, nos troupes pouvaient se reposer un peu, même si près de la moitié d’entre elles n’avaient encore rien fait, sinon une parade militaire. Nous sonnâmes les cors et Maîtresse Åsa ordonna à l’armée de se replier sous les frondaisons de la forêt de Torascon, là où nous nous étions déployés. Pendant ce temps, plusieurs éclaireurs furent envoyés aux quatre points cardinaux afin qu’ils nous peignent une image précise de la situation.

Pendant ce temps, les soldats engagés par la tour pansaient leurs plaies et s’occupaient de leurs morts qui, par chance, étaient bien peu nombreux. Les morts ennemis quant à eux souillaient de leur sang une grande part des boisés entourant la plaine.

Les premiers éclaireurs qui revinrent nous firent part d’un rassemblement d’hommes de Salamarak tout près du fortin où tout avait débuté pour nous. Maîtresse Åsa fit alors quérir l’état-major et les chefs des trois fronts afin de discuter de la stratégie à adopter. Avant même que tout l’état-major ne soit réuni, déjà des gens venaient se plaindre du peu d’action qu’ils avaient vécu lors de la bataille. Par tous les dieux! Que leur faut-il donc pour être heureux? N’est-ce pas merveilleux de ne pas risquer la mort et de savoir que nous serons tout de même rémunérés? Nos soldats allaient être payés en cas de victoire sur l’ennemi, pas selon le nombre de morts qu’ils allaient causer dans les rangs adverses! Je veux bien croire qu’il peut être ennuyant de demeurer en position défensive plusieurs heures durant, mais cela vaut bien mieux qu’une épée au travers du corps! J’allais répondre à un des nombreux plaignants qu’il pouvait bien aller se vendre à Salmarak et nous laisser sa solde, mais Maîtresse Åsa lui répondit calmement ce qu’elle répondait à tous : nous allions voir ce que nous pouvions faire pour lui, mais il fallait garder à l’esprit que c’est sous la plaine que se trouvait la crypte, pas dans les bois, ni au fortin, mais sous la plaine et que c’est pour accéder à cette crypte que les Mages de Díedne allaient grassement payé la majorité des guildes connues. La menace voilée de la perte de leur solde suffisait à faire taire même les plus frustrés.

Il ne fallut que quelques heures avant que nos éclaireurs nous confirment que plusieurs ennemis revenaient vers la plaine, nombreux malgré leurs lourdes pertes. En plus des renforts, ils avaient avec eux quelques machines de guerre. Maîtresse Åsa envoya ses messagers quérir tous les chefs de fronts, leur donnant l’ordre de préparer leurs troupes. Il fut rapidement décidé, lors du conseil de guerre, qu’il fallait en finir au plus vite. On dit donc aux artilleurs des différentes guildes de préparer leurs machines de guerre. Aussi rapidement qu’il est possible de le faire, les balistes, les catapultes ainsi que la bombarde furent opérationnelles. En plus de nos nombreuses machines de guerre, notre armée était appuyée par quelques créatures, monstrueuses certes, mais dotés d’une force incroyable! Ajoutant à la force de ces bêtes, les Hommes Bleus d’Ozame, amis de Maître Persil, avaient dans leurs rangs un surhomme : Geikosen, 1er du nom, qui aurait pu rivaliser avec n’importe quel monstre dans une épreuve de force. Ajoutons à cela l’Épée de Feu, portée par Gabriel 1er du Phoenix; le Bâton d’Yresse, porté par Windigo, shaman de l’Althing Sacré et membre des Vand’Hal; ainsi que la quinzaine de sabliers de guérison de provenances diverses, dont la moindre n’est pas le talent de Maîtresse Yasraena.

Considérant tout cela, on en vient à se demander si l’armée de Salmarak ne cherchait pas la mort. Pourquoi nous provoquer et nous affronter encore une fois alors que nous étions plus de trois fois leur nombre, que nos machines de guerre étaient supérieures en quantité et en qualité, que les objets magiques les plus puissants appuyaient notre cause et que la crème des tacticiens connus conseillait notre état-major? Leur première défaite ne leur avait-elle pas suffit? Je me mis soudain à douter de la faiblesse de l’ennemi : avaient-ils quelque surprise en réserve? Je ne fus pas le seul à avoir ce sentiment car des éclaireurs et des espions furent envoyés chez nos opposants. À leur retour, les rapports étaient tout sauf inquiétants. Plusieurs nous confirmèrent avoir vu des guérisseurs, sabliers au cou, comme nous nous y attendions. Après tout, les elfes d’Irendille se battaient aux côtés des hommes de l’esclavagiste Marquis de Buy, ils avaient bien pu lui faire don de quelques sabliers de guérison. Mais les possibilités étaient si nombreuses qu’il ne sert à rien de spéculer sur la provenance de ces éphémères objets.

Reposés et prêts au combat, nos soldats furent rapidement mis sur le pied de guerre. Les troupes de l’ennemi étaient en marche vers la plaine, là où elles s’étaient déployées la première fois. L’état-major décida d’empêcher l’armée adverse de fouler le sol de la plaine et de nous contourner par les bois. Cette bataille serait la dernière, nos opposants seraient repoussés hors de la région une bonne fois pour toute et les portes scellées depuis près de quatre siècles seraient ouvertes, libérant ainsi de la terre des dizaines d’objets magiques.

Chacun des trois fronts principaux de notre armée fut reformé et les deux flancs de tirailleurs reprirent leurs positions dans les bois. Salmarak n’eut pas l’opportunité de nous prendre par surprise. En effet, malgré les engins que nous devions traîner avec nous, notre progression fut très rapide. Les fronts gauche et centre furent positionnés à quelques pas de la ligne médiane de la plaine alors que les troupes chaotiques (sur la droite) continuèrent leur avancée jusqu’au tierce quart de Torascon, confinant ainsi l’armée adverse dans le pire coin de la plaine d’un point de vue stratégique : faisant face au front gauche de Díedne, cette partie de la plaine était jonchée d’arbustes morts et de branches d’arbres probablement emportés par une grande tempête de vent. De plus, quoique légèrement, la plaine était inclinée de sorte que nos troupes avaient une position supérieure à celles de Salmarak. Ainsi, nos projectiles avaient plus de portée et, là où les boulets de l’ennemi rencontraient un obstacle à leur progression, les nôtres se voyaient donner le terrain parfait pour continuer leur course mortelle lorsqu’ils touchaient le sol.

Lorsque toutes les unités furent à leur place, une attente, qui allait s’avérer de courte durée, débuta. Quelques tirs d’engins furent effectués d’un côté comme de l’autre. Pendant ce temps, les nouvelles en provenance du flanc chaotique ne nous surprenaient guerre : le Grand Khan et Thornfill avaient du mal à tenir leurs troupes. Je soupçonne même que Thornfill ait été retenu par Brutus… Consultant ses conseillers, Maîtresse Åsa fit finalement porter aux troupes du Chaos la permission de charger l’ennemi quand ils le jugeraient utile. C’est alors que l’on entendit une déflagration, puissante, sur notre gauche : la bombarde du Poing-de-Fer venait d’exploser. Rapidement, l’apprenti de la Sphère de Âmes vint au rapport. Il semble que l’ennemi ait engagé des mercenaires ayant eux aussi une bombarde et qu’à leur premier tir, ils aient réussi à détruire celle qui se trouvait dans nos rangs. Heureusement, considérant les risques élevés que représentent l’utilisation d’une telle arme, peu de gens se trouvaient près de l’engin détruit. Seuls les artificiers et leurs servants furent tués ou blessés. Malgré tout, il ne fallait pas laisser le moral de nos troupes baisser suite à ce malheureux incident. Maîtresse Åsa ordonna que l’on aille dire au Grand Khan de faire foncer ses troupes. Tout juste comme l’apprentie de la Sphère de l’Eau se tournait vers le front droit afin d’aller émettre le message, nous vîmes une marée de gobelins, d’orcs et d’elfes noirs se diriger vers le flanc gauche de l’armée adverse. Brutus, tel que le dictaient ses consignes, avait sûrement jugé le moment opportun pour la charge. Aïleen resta donc à l’arrière avec nous. La Maîtresse de la Tour ne prononça alors que quelques mots qui, nous le savions, allaient précipiter l’issu de la bataille : « Front central, chargez. Front gauche, chargez. ». Le message fut relayé à Maître Boréas et à Maître Persil et, en un temps très court, les étendards signalèrent à leurs troupes que la charge finale était ordonnée.

Le spectacle de ces centaines de combattants fonçant sur l’ennemi restera à jamais gravé dans ma mémoire. La plus grande distance qu’avaient à parcourir les troupes chaotiques fit en sorte qu’elles arrivèrent tout juste avant le front central. Le choc fut brutal, sauvage. Tout le flanc gauche de l’armée de Salamarak était aux prises avec des centaines de créatures enragées. La bataille, à cet endroit, n’avait rien de rangée. Une telle mort devait être terrible. À ce moment, je fus heureux d’être loin de tout ça. La charge plus ou moins ordonnée du front central vint soutenir celle des créatures du Chaos.

Avec ces seuls guerriers, la bataille aurait pu nous être acquise. Mais l’assurance de la victoire marchait maintenant sur l’ennemi. Les lourds soldats de la Vraie Foi, de la Rédemption et de leurs alliés avançaient d’un pas rapide, mur hérissé de pointes. La cohésion du front gauche avait de quoi faire pâlir d’envie même les plus fervents défenseurs du principe de cohésion : le culte de Noïséhoc. L’image était telle que même un des deux Rédemptoristes composant la garde personnelle de Maîtresse Åsa perdit de sa froideur et de son stoïcisme dans l’expression de son visage et dans les mots qu’il prononça devant la beauté de la manœuvre. Le contact fut là aussi très violent. Le mur de boucliers et de lances de notre flanc gauche heurta ce qui restait de l’armée adverse qui n’était pas encore engagé dans les combats. Les traits de balistes et les boulets de catapultes volaient vers leurs ennemis, mais ne faisaient pas autant de ravage que les hommes. Alors que nos tirailleurs nettoyaient les bois en tentant de prendre l’ennemi à revers, nos trois fronts grugeaient rapidement toute résistance, se fusionnant lentement pour ne plus former qu’un seul front combattant l’ennemi commun.

Un danger guettait maintenant notre armée : si des ennemis naturels venaient à se rencontrer sans avoir d’autres ennemis communs à abattre, ils risquaient de s’entre-tuer. Bien sûr, toutes trahisons devaient entraîner la diminution ou la suspension de la solde des traîtres, mais nous préférions de loin payer la plaine solde à ceux que nous avions engagés plutôt que de régler des litiges compliqués.

Tout au long du conflit, au mieux de mes connaissances, une seule trahison eut lieu. Bastian Oséric, Marquis de Rissa et membre de la guilde de Castenza, tira avec son arbalète sur la Comtesse des Trois-Tilleuls, membre d’une vieille et influente famille d’Arganne, et ce devant témoins. Si j’avais toujours été membre du Conseil de Díedne, le coupable aurait eu à répondre de son geste devant sa victime sans quoi la guilde de Castenza se serait vu refuser son dû. Quand on crie haut et fort à l’unité d’un royaume, on ne devrait pas tenter de tuer l’une de ses habitantes les plus respectée par les siens et qui, qui plus est, a tout mis en œuvre pour peupler ses terres avec de jeune mais valeureux gens qui auraient enrichis de leur présence le royaume d’Arganne. Mais par la faute de fourbes personnages se cachant derrière les grandes vertues de l’Honneur et de la Loyauté, la Comtesse ne pu réaliser son rêve de donner une chance aux plus petits. Cela, la guilde de Castenza refuse de l’admettre, préférant s’attaquer à une dame n’ayant plus rien et contre qui la victoire est beaucoup plus facile, plutôt que de prendre les armes contre la plus puissante guilde connue. Les castenziens me donnent le goût de vomir…

Heureusement, du moins d’un certain point de vue, l’élimination de l’armée de Salmarak ne fut pas instantanée. Plusieurs des combattants assoiffés de sang qui nous appuyaient purent faire boire le sang à leur lame. Le résultat final ne changea cependant en rien : la victoire de l’armée de Díedne était totale. Lorsque la seule menace réelle qui restait fut les elfes d’Irendille qui patrouillaient les bois, loin de l’état-major et du centre de l’action, le Wardon Capûm, avec la permission de Maîtresse Åsa, quitta la sécurité de l’arrière de l’armée pour aller s’enquérir de l’état de la situation générale. Je demandai moi aussi la permission de quitter mon poste afin d’aller voir de plus près ce qui se déroulait plus loin. Voyant bien que nul danger ne pouvait désormais l’atteindre, la Maîtresse de la Tour permit à tous ceux et celles qui l’entouraient de faire ce qu’ils voulaient. Seuls, à mon souvenir, les gardes Rédemptoristes et Tératossiens de Maîtresse Åsa ne quittèrent pas leur poste.

Marchant parmi les morts et les blessés, je devais faire attention à chaque pas car je portais clairement et visiblement les couleurs de la Tour : un ennemi blessé ou un allié frustré aurait pu tenter de mettre fin à mes jours. Les horreurs de la guerre m’entouraient. Nos guérisseurs faisaient tout en leur pouvoir pour soulager les souffrances de nos soldats, mais le tout allait probablement prendre plusieurs jours au cours desquels certains combattants iraient rejoindre leurs dieux, peu importe leur nom.

Mes pas me portèrent tout d’abord vers l’extrémité nord de la plaine, là où s’étaient installées les troupes adverses. Ayant à peine posé le pied dans les sous-bois, je vis Estéban, chef de la guilde des Rangers, qui marchait vers moi. Souriant, il leva sa main dans laquelle il tenait des étendards aux couleurs de Salmarak et, pour toute explication, me dit que le camp ennemi avait été saccagé. Heureux, je lui serrai la main et lui annonça que la victoire était acquise. Il félicita les gens de la Tour et repartit, avec ses hommes, dans les bois afin de régler quelque grief. Comme j’ai confiance en Estéban, je ne me rendis pas constater la destruction des quartiers généraux ennemis. Je me rendis plutôt vers l’endroit où avaient eu lieu les combats les plus violents. Prenant toujours un grand soin d’éviter les corps qui jonchaient le sol, je pris le chemin qui me mènerait aux troupes du Saint-Ordre du Poing-de-Fer, que je voulais remercier et féliciter. En route, je rencontrai Maîtresse Yasraena qui utilisait ses dons, jumelés au pouvoir d’un sablier, pour soigner les blessés. M’assurant qu’elle était en sécurité avec les quelques gardes et soldats qui l’entouraient, je continuai. J’étais à peine arrivé à la hauteur du bras armé de la Vraie Foi et je n’avais encore rien dit quand je vis une situation qui me pris au dépourvu et qui, je dois me l’avouer, me choqua et me révulsa au plus haut point : le marquis de Buy, debout, désarmé et entouré de gardes en rouge et blanc alors qu’au sol, une guérisseuse de Sainte-Abelle soulageait les douleurs d’un autre membre de Salmarak, noble de Dalabheim. Outré, je demandai des explications au Frère Loan. N’en obtenant aucune, je voulu m’avancer vers lui, mais fus retenu par les soldats l’entourant. Lorsque je réitérai ma question, on me dit que l’Ordre faisait des prisonniers. Ayant participé aux négociations avec les diplomates du Poing-de-Fer, je ne me rappelais pas avoir vu une clause leur permettant de faires des prisonniers, encore moins le général de l’armée adverse! Se remettant du choc, de Buy se mit à invectiver les gens de la Vraie Foi, les accusant de s’associer à des forces du mal, à des démons, à des chaotiques. Frustré et ayant un grand cœur, je tirai mon épée hors de son fourreau et m’avançai vers l’homme à l’esprit souffrant. Le meurtre ne m’a jamais plu, mais certaines situations me font dire qu’il est parfois préférable à toute autre chose et cette situation était l’une de celles-ci. Je n’eu cependant pas la chance de mettre fin aux jours de cet ennemi de l’Équilibre car les bras des soldats de la Vraie Foi arrêtèrent le mien. La rage s’était emparé de moi et si ma personne ne suffisait pas à empêcher le Poing-de-Fer de prendre des prisonniers, un ordre de Maîtresse Åsa serait probablement suffisant.

Une fois devant Maîtresse Åsa, qui recevait rapports après rapports, je lui fis part de la situation et de ce que j’avais vu. Sa réponse fut exactement celle à laquelle je m’attendais : « Pas de prisonniers ». N’avait-elle pas dit la même chose aux mêmes personnes lorsque, dans les défilés de Butasard, nous appuyant, le Poing-de-Fer avait voulu prendre des prisonniers? Cependant, la situation était, à mon sens, fort différente. Si la libération du comte et de son subordonné influençait où seraient déposé leurs pierres de savoir lors d’un éventuel vote impérial, certains de nos alliés pourraient, et devraient, nous en être reconnaissants. Je fis donc part de cette idée à Maîtresse Åsa et, à ma grande surprise, elle accepta de laisser le Poing-de-Fer prendre les prisonniers. Je courus donc en avertir Frère Loan et Olaf. Un tel cadeau de la part de Maîtresse Åsa ne doit pas être pris à la légère.

Ce fut là le dernier message que je livrai lors de cette bataille.