Gloire à Son Altesse Sérénissime!
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Conte de Noël du Moine Hyronimus |
Le moine ventripotent était assis dans une vieille chaise berçante
près du foyer de l'auberge, un bon livre entre les mains. Près de lui, il y
avait une petite table où était posé une tasse fumante de grog. C'était la
saison des neiges et le scribe avait attrapé froid.
Un couple de marchands et leurs deux enfants prenait le repas à une table non
loin de l'âtre. De toute évidence, le repas n'était pas au goût des enfants
et ceux-ci semblaient s'ennuyer au plus au point dans cette auberge isolée par
le blizzard. Pas même moyen d'aller jouer dehors, tant la tempête faisait
rage.
Jehan, qui avait 8 ans chuchota à l'oreille de Rosalie, sa petite soeur qui
avait un an de moins que lui:
"Et fi nous allions d'mander au gros meufieu de nous raconter une lézende?
Une hiftoire de dragons et de fevalier!", proposa le frère à sa
soeurette.
Rosalie jeta un regard vers leurs parents désintéressés, puis vers le moine
apparament inoffensif se berçant doucement les yeux plongés dans sa lecture.
Elle hocha positivement de sa petite tête bouclée de cheveux d'or. Jehan, pris
la main de sa soeur et, ensemble, ils se glissèrent furtivement vers le foyer
crépitant et invitant. Les parents, blasés et fatigués par le voyage, ne
semblèrent pas remarquer l'absence soudaine de leur progéniture à la table.
Jehan et Rosalie s'approchèrent de la chaise bercante du moine.
"Meufieux?", interpella Jehan.
Constatant l'inattention auditive du moine, Jehan répèta plus fort:
"MEEEEUFIEEEEU!"
Cette fois, le gros moine avait entendu. Il sursauta en échappant presque ses
lunettes.
"Qu'est-ce qu'il y a garnements?!?", beugla le moine de sa voix enrouée.
"C'est quoi vot'nom messire?", demanda Rosalie d'un ton plus appaisant
et poli que son frère.
"Hurmh! Je me nomme Hyronimus...", dit le moine en voulant d'abord préciser
son état de scribe du puissant et terrible Gorghor Baey, mais décida que l'évocation
même du nom de son maître ne ferais que terroriser cette pauvre marmaille.
"...Que puis-je faire pour vous, mes enfants?", décida-t-il
finalement d'ajouter.
"On aimerait afoir une hiftoire meufieu!", réclama Jehan, la morve au
nez.
"Sivouplait...", quémanda d'un air innocent et enjôleur la petite
soeur.
Hyronimus regarda les deux enfants un moment, semblant juger leur requête avec
le plus grand des sérieux. Puis un sourire s'esquissa sur le visage jouflu du
moine. Il ajusta ses lunettes sur son grand nez, referma son livre qu'il déposa
sur la petite table. Du bout des lèvres, il prit une petite gorgée de son grog
encore bouillant.
D'un geste des mains, il invita les enfants à monter sur ses genoux. Ceux-ci
s'empressèrent de s'exécuter avec un enthousiasme renouvelé.
Le gros moine s'éclaircit la gorge et demanda:
"Bon. Quelle genre d'histoire vous aimeriez entendre?"
"Une lézende de fevaliers et de dragons!!!", brailla Jehan.
"Un conte de fée avec une belle princesse et un prince charmant",
proposa Rosalie.
Le moine Hyronimus paru passablement embêté par leur demande. Il avait
toujours eu un instinct pédagogique avec les enfants et la romance n'avait
jamais été son fort. Il réfléchit un instant. Puis, un évènement des
derniers jours lui revint à l'esprit.
"Ah!... Vous savez les enfants...", commença le gros moine en
regardant vers le chaleureux foyer de pierre.
"... il est heureux que la braise soit généreuse dans l'âtre d'une
demeure...", continua Hyronimus.
"Pourquoi meufieu?", interrogea Jehan intrigué.
"Pour ne pas prendre froid, voyons!", répondit Rosalie en grondant du
regard l'apparente stupidité de son frère pourtant plus âgé.
"Hurmh", fit Hyronimus en voulant éviter une querelle filiale sur ses
genoux, si près de ses oreilles particulièrement intolérantes aux
piaillements juvéniles.
"Il y a un peu de cela.. MAIS ENCORE!", ajouta Hyronimus non sans un
brin de théatral, son amorce vers le récit.
"Laissez-moi vous raconter ce qui est arrivé à mon maître Gor... (hésitation)
Gor... (nouvelle hésitation) Euh... GORGO! Oui c'est bien cela: mon maître
Gorgo!", dit Hyronimus en soupirant d'avoir presque révèlé le nom réel
de son maître qui, il faut le dire, faisait office de croquemitaine auprès des
enfants. Le moine prit une dernière gorgée de son grog, comme pour se récompenser
d'avoir évité la catastrophe.
"Cela se passait deux ou trois jours après l'équinoxe de l'hiver, en la
demeure de mon maître, le puissant chef de guerre... Gorgo!..."
"Dehors il faisait nuit depuis déjà plusieurs heures. Un festin venait de
s'achever dans la salle du trône de mon maître. La plupart des convives
roupillaient, cuvant de généreuses cuites et ripailles, éparpillés sur les
nombreux tapis et les coussins rapportés de lointaines contrées, lors des
conquêtes du grand Gorgo!"
"Mon maître (le puissant Gorgo!) avait à moultes reprises guerroyé et
vaincu d'innombrables adversaires, ce qui lui valait par conséquent d'avoir de
nombreux ennemis."
"Or cette nuit là, un ces jaloux mécréants avait dû décidé de passer
à l'acte sot et absurde de faire assassiner mon maître."
"C'est du moins ce que mon maître conclu lorsqu'il entendit quelqu'un qui
se glissait dans la cheminée de la salle du trône. Le feu s'était éteint de
sa belle mort quelques heures auparavant et, comme les portes et portails de la
demeure étaient toujours bien verrouillés et bien gardés, l'assassin était sûrement
arrivé à la conclusion que la cheminée était la seule façon de se glisser
à l'intérieur de l'antre du puissant Gorgo! Et il va de soit, que l'intrus
avait savamment attendu que la nuit fut bien entamée, que les meilleurs
guerriers du maître soit au repos, pour frapper traîtreusement!"
"Mon maître me raconta plus tard qu'il vit apparaître un énorme
personnage, costumé d'un vêtement rouge comme le sang (probablement celui de
ses victimes!), le visage dissimulé sous une longue et vilaine barbe blanche
comme la mort. Il portait sur le dos un énorme sac qui contenait moultes
richesses (probablement chapardés à ses victimes!)..."
"En fait, il paraît que c'est notre shaman, Wazo-Wazo qui détecta le
premier la présence de ce maraudeur. Il cria en invoquant la Grande Marmotte et
se mit à lancer des restants de tables à l'intrus."
"Puis ce fut Lorka, qui était couché le plus près du foyer, serrant
contre lui un gros jambon, qui bondit le premier sur l'écarlate personnage. Le
vaillant Lorka aggripa et mordit à pleines dents le mollet du bedonnant
envahisseur."
"Celui-ci cria sa douleur puis sembla vouloir expliquer quelque chose,
"un malentendu", selon ses dires... À ce moment, deux flèches filèrent
de l'autre extrémité de la grande salle pour aller s'enfoncer dans la poitrine
du mécréant, gracieuseté de Matémorh et Rhô qui ne dormaient jamais très
loin de leur arc et carquois. Cela sembla hypothéquer le besoin de discussion
de l'obèse assassin."
"Mais il était persistant et imposant cet homme en rouge, car malgré un
Lorka accroché à une jambe qui grugeait déjà le molet de gauche et Wazo-Wazo
qui grugeait le mollet droit, le barbu réussit à faire quelques pas..."
"Deux autres flèches vinrent s'épingler avec précision dans les organes
vitaux du titubant colosse. Simultanément, un carreau de l'arbalète du Baron
Robert lui transperça un oeil. Il était techniquement mort, mais il ne
semblait pas encore l'accepter."
"S'il avait besoin d'être convaincu de sa condition prochaine de décédé,
il ne pouvait trouver mieux sur son chemin qu'Amir, le garde du corps de Gorg...
(hésitation) de Gorgo. Amir lui trancha net le bras gauche de son lourd
cimeterre... Sur le flanc droit, Goldrath Van Der, le maître d'armes, lui
ouvrait le ventre d'un coup fulgurant son épée, les entrailles du méchants se
vidant sur une superbe moquette jabahallienne, cadeau du richissime Prince Nakan
Ossan."
"Il n'en fallut pas plus pour faire fâcher mon maître! De ses bras
puissants, hem, Gorgo lui balança sa hache de guerre en pleine tête, fendant
le crâne en un coup sec."
"Pendant ce temps, Glahul, qui s'était glissé derrière le gros barbu,
glissa la lame de sa dague, effilée comme un rasoir, sur la gorge de l'homme
rouge et le saigna comme le cochon de la nouvelle année. Cela sembla finalement
convaincre l'adversaire de la futilité de poursuivre toute entreprise et de
l'inévitabilité de la conclusion à venir."
"La carcasse du maraudeur s'effondra lourdement sur le sol. Au même
moment, le Capitaine Don Miguel suivit de quelques soldats de la fidèle
Compagnie Noire firent irruption dans la salle, juste à temps pour ramasser les
restes. Roxanno, l'escrimeur, roupillait toujours, deux jolies damoiselles blotties
contre lui. Un peu plus loin, Baen l'elfe noir renégat faisait de même avec
semblable compagnie."
"Gorgo, mon maître, décida que c'était là une occasion de renouveler la
fête de plus belle. Il ordonna qu'on tapisse les mur de guirlandes trempées
dans le sang de l'impromptu visiteur."
"Inspiré, Nameloc, cuisinier de Gorghor prépara des petites confiseries
en forme de hache en l'honneur de notre maître (en fait elles ressemblaient
plus à des cannes, mais bon.). Nameloc utilisa la bile de la victime pour décorer
ses bonbons de rayures vertes, et le sang pour faire des rayures rouges."
"Ce fut la fête la plus mémorable dans l'antre de mon maître."
"C'est donc ainsi que s'achève mon histoire mes enfants... Comme dans
toute bonne histoire, il y a bien entendu une morale: C'est ainsi quand on s'en
prend à... GORGHOR BAEY!!!!... Et puis... Tout est bien qui fini bien!
Non?", termina Hyronimus.
Les deux enfants étaient blêmes, les yeux écarquillés de terreur.
Hyronimus se sentant l'âme généreuse, lança quelques pièces à l'aubergiste
pour que l'on apporte quelques gâteaux aux enfants.
Ceux-ci se glissèrent en bas de la chaise et reculèrent vers leur parents tout
en gardant bien à vue le moine devenu soudainement plutôt inquiétant...
Hyronimus se parra d'un sourire satisfait. Enfin il aurait la paix pour le reste
de la soirée. Il réajusta ses lunettes, pris une gorgée de son grog désormais
tiède. Puis, il récupéra son bouquin sur la petite table, ouvrit le tome et
se replongea dans sa lecture.
Après un moment, il interrompit sa lecture, leva les yeux vers le foyer et échappa
un léger rire dans sa barbe en se disant:
"Prendre des enfants sur ses genoux... Leur raconter une histoire... Pour
finir par leur donner quelques gâteries... C'est pas si désagréable... Peut-être
même que j'en ferait une nouvelle tradition annuelle pour ce gros moine après
tout!"
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