Ces chroniques sont originalement parues dans le Dailypocampe de l'an 1022, à raison d'une par jour.
I - De la nécessité
Depuis les débuts des temps, les humains et les autres créatures pensantes se sont rassemblés autour d’idées ou de concepts (la « tribu », la « cité », la « cause »). Ces idées soudaient les individus autour de leur appartenance à un groupe. Les humains ont imaginé divers symboles pour représenter leur groupe ou leur cause : par exemple, dans plusieurs religions, le soleil devient la représentation de Dieu. Ainsi, les membres d’un groupe peuvent se reconnaître autour de cette représentation symbolique.
L’organisation des individus en groupes d’appartenance ne pouvait qu’avoir comme conséquence que l’apparition de rivalités et conflits entre ceux-ci. L’existence du « moi commun » a comme inévitable conclusion la naissance de « l’autre rival ». Dans les conflits primitifs, l’appartenance d’un protagoniste à un groupe était plutôt aisée : les habitants d’un côté de la rivière combattaient ceux de l’autre côté, les hommes combattaient les créatures d’autres races.
Dans bien des domaines, la guerre est un motif de l’avancement de la civilisation. Sur un champ de bataille où se trouvent des centaines, voir des milliers de combattants, certains de même race mais combattant de côtés différents, il devient difficile de déterminer qui est un allié et qui est un ennemi. Il fallu donc créer des codes pour s’identifier.
Un exemple classique eut lieu lors de la Grande révolte de 640. Cette guerre impliqua de nombreux combattants humains de multiples allégeances, les féodaux andoriens et argannais se rebellant contre l’autorité impériale. Malgré leurs différents politiques, les chefs des différentes factions se concertèrent pour attribuer à chaque groupe une couleur distinctive. L’Empire prit l’azur (le bleu), les partisans andoriens prirent l’or (le jaune) et les argannais prirent le sinople (le vert). Ainsi les preux chevaliers purent-ils s’entre-tuer civilement sans abattre par inadvertance des alliés du même camp.
| L’azur (bleu) et l’or (jaune) permettent de facilement reconnaître les représentants officiels de Bicolline. |
II - Du blason
Afin de se distinguer, les royaumes, les seigneurs, les religions et toute forme d'autorité cherchent à développer une symbolique qui les représente. L’ensemble de symboles et de couleurs qui représentent une entité se nomme les armoiries. Les armoiries peuvent se retrouver à divers endroits: elles peuvent être cousues sur un tabard, peintes sur un écu, brandies sur un étendard, etc. En dehors du champ de bataille, elles peuvent être portées lors d’activités officielles, de tournois ou de parades. Elles peuvent servir à identifier le rédacteur d’une missive lorsqu’elles sont imprimées dans un sceau. Dans tous les cas, elle permettent de désigner l'appartenance du porteur. L'héraldique est la science et l'art qui étudie les armoiries, qui codifie ses éléments et sa description par un vocabulaire précis et efficient.
Nous avons pu voir dans la chronique précédente comment la nécessité de pouvoir se reconnaître sur le champ de bataille mena à l’élaboration de la science héraldique. Bien que les armoiries modernes soient souvent complexes, l’essentiel demeure qu’elles répondent à cet objectif : dans le feu du combat, peu importe si vous connaissez la signification du griffon, du crâne couronné ou de l’aigle bicéphale : si vous savez que le rouge et le bleu désignent un impérial, vous saurez dès lors s'il s'agit d'un ennemi ou d'un allié.
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Le royaume de l'Empire | La Trésorerie Impériale | Gorghor Baey | La province de Reikswart |
La forme la plus simple et la plus pure des armoiries est celle de l'écu (la forme d’un bouclier), que l'on nomme blason. Les traités héraldiques et les armoriaux utilisent le blason en forme d'écu pour répertorier et décrire les armoiries du monde. Le blason est composé de plusieurs éléments que nous étudierons au cours des chroniques suivantes: les couleurs, les meubles et les partitions. Nous nous initierons finalement au blasonnement, c’est-à-dire la description des blasons.
III - Des couleurs
Les couleurs sont l'expression la plus simple et la plus essentielle de l'héraldique. Lors de certains conflits, elles peuvent être suffisantes pour identifier les camps. La première utilisation des couleurs lors d’un conflit contemporain fut lors de la Grande Bataille de 1002 pour le contrôle du marché de Bryas. Les Vand’Hals utilisèrent un brassard sinople (vert) pour identifier leur armée, ce qui fut fort utile dans un conflit à trois protagonistes.
Les armoiries doivent être en mesure de s'adapter à de nombreux matériaux: elles peuvent être cousues sur une étoffe, peintes sur du bois ou du métal, tracées sur du papier ou encore être gravées dans le cuir ou la pierre. C'est pourquoi elles se doivent d'être claires et de comporter un nombre restreint d'éléments. Cela est vrai pour les couleurs qui constituent les armoiries. La tradition les limite au nombre de sept, qui se divisent entre les métaux et les émaux.
En héraldique, il existe deux types de métaux: l'or et l'argent. L'or est représenté par la couleur jaune, et l'argent par le gris pâle ou le blanc. Il existe aussi cinq émaux, qui ont chacun un nom particulier à l'héraldique: gueules (rouge), azur (bleu), sinople (vert), sable (noir) et pourpre (violet). Ainsi, les couleurs d'Irendille sont le sinople et l'or. En plus d’être limitées en quantité, les couleurs sont aussi limitées dans leur expression. Un blason ne devrait pas comporter deux « tons » (ou variations) d’une même couleur.
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Le pourpre du royaume de Nasgaroth | Le sinople du royaume d'Irendille | Le sable de la Rédemption | L'azur du Pays de Kafe |
Par souci de clarté, la règle héraldique demande de ne pas superposer ou juxtaposer deux émaux ou deux métaux; on doit alterner le métal et l'émail. Cela permet de respecter un certain contraste et rendre les armoiries plus lisibles. Ainsi, le sinople ne devrait pas toucher le gueules. Dans les faits, bien des seigneurs au savoir héraldique limité ont choisi des armoiries qui ne respectaient pas cette règle.
IV - Des meubles
Les « meubles » sont des figures qui sont ajoutés à un blason pour représenter son titulaire. Il s’agit de symboles qui sont sensés correspondre aux caractéristiques que veut se donner le porteur. Par exemple, parmi les meubles les plus courants, le lion représente le courage, la fleur de lys la loyauté, la couronne la noblesse, la croix la foi.
Ces figures peuvent être des animaux, des végétaux, des objets communs ou des créatures fantastiques (dragon, aigle bicéphale, griffon, phoenix, chimère, etc.). Il y a en fait il y a peu de limites à ce qui peut être représenté. Il existe des variations régionales : alors que lion est très présent en Andore, la couronne triomphale et l’aigle sont fréquents en Empire.
Les blasons se décrivent grâce à un vocabulaire précis. Par exemple, la posture des animaux ou des créatures fantastiques doit être spécifiée : un animal dressé sur les pattes arrière est dit « rampant », un qui marche à trois pattes ou quatre pattes est dit « passant ». La plupart des meubles peuvent avoir des détails d’une couleur différente de la partie principale. Par exemple, un corbeau noir à l’oeil rouge sera dit « corbeau de sable allumé de gueules ».
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Le phoenix d'argent de la guilde du Phoenix | Le coupe chargée de la croix d'or du Saint-Ordre du Vinier | Le corbeau de sable allumé de gueules de la meute | La tour de gueules ajourée de sable d'Hullsbourg |
Comme ils sont reproduits à partir de descriptions textuelles, la représentation des meubles variera selon l’artiste et le médium utilisé : un ours aura une apparence différente selon qu’il est gravé par un artiste dans le bois ou brodé sur un écusson. Il convient donc de s’épargner l’orgueil, lorsque l’on élabore son blason, d’user de figures complexes, stylisées ou détaillées, qui ne pourront être reproduites selon l’intention originale. Le bon héraldiste doit donc créer en termes de symboles (le taureau pour la force) et non en termes de style.
V - Des partitions
Les partitions sont les différentes divisions d'un écu. Un blason séparé en deux en son milieu d’un trait de haut en bas sera dit « parti », et comporte deux « partitions ». Parmi les nombreux types de partitions, nous en présentons quatre dans le schéma ci-dessous : le parti (Poing de Fer), l’écartelé (Andore), le tiercé en pairle renversé (Arganne) et le fascé (Ratatosk). Il existe bien entendu plus de variations et de possibilités que ce qui peut être présenté dans le contexte d’une chronique quotidienne.
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Le parti de la guilde du Poing de Fer | L'écartelé du royaume d'Andore | Le tiercé en pairle renversé de la province d'Argane | Le fascé de la guilde du Ratatosk |
La convention héraldique veut que l’on limite le nombre d’éléments qui sont « par-dessus » plus d’un autre élément. Ainsi, les éléments du blason devraient être restreints à une partition donnée (cf. Poing de fer et Arganne). Cependant, de nombreux groupes utilisent les partitions comme un « fond » décoratif aux couleurs multiples, et viennent apposer un « meuble » (figure) par dessus le tout (cf. Andore et Ratatosk). Dans ces cas, ont dit que le meuble apposé par-dessus d’autres éléments est « brochant ».
Dans un élan d’enthousiasme ou de vanité, d’aucuns ont tendance à multiplier les partitions ou charger leur blason de multiples symboles, cherchant à présenter l’ensemble de leurs nombreux attributs. L’héraldique efficiente se trouve exactement à l’opposé de cette tendance. La réflexion que devrait se faire un bon héraldiste est la suivante : quels sont les éléments essentiels qui permettent de reconnaître la signification d’un blason? Un canon sur fond rouge et bleu est tout ce qui est nécessaire pour identifier des artilleurs impériaux. Il permet au manant disposant de peu de connaissances héraldiques de rapidement prendre une décision entre se réjouir ou prendre ses jambes à son cou.
VI - Du blasonnement
Un des objectifs de l’héraldique est de permettre de décrire les différentes armoiries. L’acte de décrire un blason se nomme « blasonnement ». Le but du blasonnement est, à partir d’une description textuelle ou verbale, de pouvoir reproduire l’effigie désirée. Nous vous présentons dans cette chronique quelques éléments de base pour pouvoir être en mesure de lire un blasonnement.
| La province de Ghoria: Écartelé au premier échiqueté d'azur et de gueules à un griffon d'or brochant; au second d'azur à trois hiboux d'argent volants rangés en pal; au troisième de gueules à un écu d'azur chargé d'un crâne d'argent entouré d'une couronne triomphale d'or et sommé d'une couronne du même; au quatrième parti d'azur et de gueules à un soleil de Ghoria d'or brochant. |
La droite et la gauche se nomment respectivement dextre et senestre. Il faut les voir du point de vue de quelqu’un qui porte un écu en main. La droite (dextre) du porteur se trouve à la gauche de la personne qui regarde le bouclier. Ainsi, dans le blason de Ghoria, le griffon est à dextre et les hiboux sont à senestre. Le haut de l’écu est le « chef », et le bas est la « pointe ».
Lorsque plusieurs éléments sont placés dans une partition, il faut indiquer leur position. Dans le blason de Ghoria, les trois hiboux sont « rangés en pal », soit alignés verticalement les uns sur les autres. On peut aussi localiser les éléments les uns par rapport aux autres. Par exemple, « chargé » signifie qu’un élément est par-dessus un autre, comme le crâne et la couronne triomphale (anneau de lauriers) sont par dessus l’écu d’azur. « Sommé » signifie qu’un élément est au-dessus d’un autre, comme la couronne est au dessus du même écu.
On lit le blason comme on fait la lecture d’un texte : de la gauche vers la droite, et du haut vers le bas. On décrit une partition dans son ensemble avant de passer à la suivante. Plutôt que de répéter une couleur, on utilisera l’expression « du même » pour désigner la couleur précédente.
Avec les leçons apprises lors de ces chroniques, êtes-vous en mesure de déchiffrer le blasonnement de la province de Ghoria?
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