Approuvé par son Altesse Sérénissime Karl Von Shlaffenmark 1er
Gloire à Son Altesse Sérénissime!
VIII - Bacchus

Port de Goulancourt, Province de Moussillon, Andore, hiver 997


« Messeigneurs et gentes dames, le voici enfin venu, le moment tant attendu, le clou de la soirée : le combat entre les deux plus grands gladiateurs des Terres du Centre, présenté ce soir ici-même pour vous dans l’arène du Barbu Pustuleux, par votre dévoué, Maphisto, moi-même en personne! »

Applaudissements à tout rompre. On ne s’habitue jamais à l’adoration de la foule. Mais ce soir, ce n’est pas un soir normal, Nikolaï. Ce soir, Maphisto a promis la liberté au gagnant. Ce soir, c’est peut-être ta chance, Nikolaï de te sortir de ton esclavage. Dans les mines d’Ékengrad, ils disaient qu’il n’y avait pas d’esclaves en Andore, oh combien ils se trompaient. Ça valait bien la peine de risquer ta vie pour t’enfuir, Nikolaï, pour devenir un « gladiateur », vendu comme une marchandise profitable pour ce maudit Maphisto. Mais ce soir, tout pourrait changer…

« Dans le coin gauche, la Bête! Ragash le muet! Certains disent que c’est un bourreau déchu pour avoir torturé ses victimes, d’autres qu’il s’est lui-même coupé la langue pour ne pas pouvoir confesser les crimes sordides qu’il a commis. Il porte un masque noir pour cacher son visage, on dit que c’est parce qu’il a été défiguré par les ongles de ses victimes se débattant pour leur vie. La vérité, nul ne la saura parce qu’il ne pourra pas la dire, mais ce soir, vous verrez sa sauvagerie à l’oeuvre! »

Huées de la foule. Pauvre Ragash, toujours le méchant. Difficile de savoir s’il se plaît vraiment à être craint de la foule. En tous cas il n’est pas aussi sauvage qu’il laisse paraître : il a toujours évité de me blesser trop sérieusement. Il comprend que c’est en donnant un bon spectacle que nous survivons. Les têtes brûlées se font rapidement éliminer. Mais nous on a duré, Ragash. Duré assez longtemps pour cette chance de liberté.

« Dans le coin droit, le héros de Tarra, le glorieux guerrier celte qui a battu à lui seul et à mains nues un bataillon impérial pour défendre l’honneur de sa promise, et j’ai nommé... Bacchus! Contraint de s’évader de ses îles où sa tête est mise à prix, il combat ici ce soir pour la chance de revoir sa belle qu’il a perdue! »

Cris d’adoration, délire dans la foule. Bacchus, tu es un vrai héros. Quand ils te voient, les esclaves oublient leur malheur en rêvant à ta quête de liberté. Ah que je voudrais avoir le courage d’être comme toi, Bacchus. Bon, c’est le temps d’y aller. Oh là! Quelle foule! Ils ont transformé un grand entrepôt vide en tripot avec arène. Ils ont même fait des gradins, il y a plusieurs centaines de spectateurs ce soir. Ça va payer la totale. Mais toujours pour Maphisto, jamais pour nous. Il faudra bien que tu cesses un jour d’être un esclave repris, Nikolaï.

Ragash y va de ses contorsions frénétiques du possédé. Il harangue la foule, et ne récolte que des huées. Tiens, quelques hourras pour lui ce soir. Sans doute une poignée de détraqués dans la salle. Bacchus, lui, n’est pas comme cela. C’est un héros, c’est un pur. Il laisse tomber sa cape pour montrer son buste musclé et huilé. La foule l’acclame. Quelques cris un peu trop aigus trahissent la présence de femmes qui ont dû se déguiser pour entrer. Un des bénéfices du métier, Bacchus, les après matchs. Elles sont folles de ton kilt.

« Gladiateurs, battez-vous! »

« GRRRGRRRR! »

Cesse de rêver Bacchus, Ragash a commencé. Tu l’as évité belle, il a failli t’avoir avec sa hache. Heureusement qu’on a une routine. Au début du combat, la Bête fonce partout en grognant, et Bacchus feint d’être dépassé par la situation. Il évite les coups de justesse et ne fait qu’esquiver. Première passe, deuxième passe -

« AAAH! »

Que fais-tu, Ragash? Tu n’étais pas supposé frapper de ce côté! Qu’est-ce qui te prend?

« Messeigneurs et gentes dames, vous saviez tout comme ces gladiateurs que ce soir, l’un d’eux gagnerait sa liberté! Mais ce que personne ici savait, pas même eux, c’était à quelle condition! Cette condition, la voici : le gagnant sera celui qui abattra l’autre! Le dernier survivant! »

La foule crie plus fort, si cela est possible.

Sois maudit, Maphisto! Ce n’était pas prévu ainsi! Tu nous avais promis la liberté, pas le meurtre! Ragash, que feras-tu? Tueras-tu ton vieil ami pour ta liberté? Et Nikolaï, sacrifiera-t’il encore une fois sa liberté pour un autre?

«GRRRGRRR! »

Tu t’apitoies trop, Nikolaï, ça te perdra. C’est le temps de penser comme un héros. Comme Bacchus. Jamais Bacchus ne se laisserait tuer pour la liberté d’un autre.

«GRRRGRRR! »

C’est difficile de dire si Ragash joue ou s’il compte gagner sa liberté par le meurtre. Si Bacchus tient la routine, Ragash saura exactement où frapper pour l’abattre. Bacchus ne tombera pas dans le piège, il a perdu sa liberté trop souvent. Mieux vaut ne pas faire confiance à Ragash dans cette situation.

«GRRRGRRR! »

Que fais-tu, Ragash, tu entraînes la bataille près de la foule? Les gardes risquent de repousser le combat vers le milieu avec leurs gourdins. Tu tiens vraiment à avoir deux assaillants?

«GRRRGRRR! »

Ragash vient de couper la tête d’un garde avec sa hache!
Il fait dos à Bacchus.
Ragash n’est plus un ennemi, Bacchus : Ragash est un homme libre!

Bacchus lui aussi veut être libre!

« LIBERTÉÉEEE! »

Nous avons le temps d’abattre deux autres gardes avant qu’ils ne comprennent ce qui leur arrive. Maphisto est rouge de colère. Il ordonne aux autres gardes de nous tuer. Nous sommes habitués de combattre ensemble, nous nous mettons dos à dos, et abattons un à un une dizaine des hommes de main de Maphisto, qui se retrouve bientôt seul sans protection. Il comprend sa situation et son visage se décompose. Tout ensanglanté, Ragash est devenu la bête. Il avance seul vers Maphisto en grognant. Il jette sa hache par terre. C’est le silence total dans la salle, plus personne ne bouge.

Ragash prend Maphisto, le lève à bout de bras en le tenant par le cou, l’étrangle de longues secondes, puis lui écrase la tête sur son front. Maphisto tombe, tout mou, par terre. Il gémit, demande pitié. Ragash le laisse par terre, me tape dans la main, puis se met en retrait derrière une corde qui délimitait l’arène. Je monte sur une table. J’écarte les bras biens grands comme pour prendre mon envol. La foule scande : « À MORT! TUE-LE! »

Je saute et atterrit de tout mon poids, le coude sur le poitrail de Maphisto. « HOURRAH! ». Je relève Maphisto qui semble inconscient par un bras, le fait tourner autour de moi et le lance vers Ragash. Le menton de Maphisto arrive directement sur le bras étendu de Ragash qui l’attendait - on entend son cou craquer. Maphisto tombe immobile par terre, déjà mort. Nous reprenons tous deux notre souffle. La foule est en délire :

« BACCHUS! BACCHUS! BACCHUS! »

Bacchus est un vrai héros, celui qui libère les opprimés. Relève-toi, Bacchus. La tête haute et le dos droit! Subitement, Ragash lance un grognement et prend sa hache. Comme si le compte n’était pas encore juste entre eux, Ragash coupe la tête de son ancien maître. Ragash est enfin libre.

Ça crie tellement fort que c’est étourdissant... Je regarde le corps mutilé de mon ancien tourmenteur qui gît à mes pieds… Moi aussi je suis libre... Jamais plus je ne serai Nikolaï. Je suis enfin libre. Je suis Bacchus!

Par contre, c’est le chaos aux alentours. La garde royale a été appelée. Les acclamations de la foule pour nous sont vites remplacées par la colère des gens qui profitaient de notre métier, et de leurs hommes de mains. Plusieurs ont perdu une fortune en paris dans le combat. Ragash et moi sommes encerclés par une trentaine d’hommes. Personne n’était supposé pénétrer avec une arme à l’intérieur, mais on dirait que la fouille de l’entrée a été plutôt défaillante.

Notre liberté n’aura pas été de longue durée. Tant pis, ça en valait la peine. Nous donnerons chèrement notre peau..

« ÉCARTEZ-VOUS, MINABLES, VOICI GORGHOR BAEY! »

Plusieurs coups sont données sur le côté, et un grand homme à la couette noire s’avance avec son escorte. Personne n’ose bouger autour. Il s’adresse à nous :

« Le papier n’avait pas menti. » Il nous montre une affiche annonçant le combat.

« Les deux plus grands gladiateurs des Terres du Centre. Vous avez fait un sacré combat. Vous êtes maintenant libres, que diriez-vous de vous joindre à moi? »

Un colosse s’interpose entre nous et Gorghor Baey. C’est le plus grand et le plus costaud gaillard que j’aie vu. C’est simple, il a la stature d’un ours à deux pattes.

« Désolé les gars, je travaille pour le patron. Il dit que Maphisto avait de grosses dettes, et que les gladiateurs sont à lui maintenant. »

Gorghor jette un bref regard à un de ses hommes, un moustachu aux cheveux longs bouclés. Ce dernier se jette sur le colosse, mais il atterrit sur son poing et tombe sonné au sol. Gorghor soupire. Sans même les regarder, il dit :

« Glahul et Matémorh. »

Deux autres des hommes de Gorghor se positionnent pour s’en prendre au colosse. Le géant agrippe le bras du premier et l’utilise comme projectile contre le deuxième. Gorghor se met à rire.

« Dis-moi l’ours, c’est lequel, ton patron? »

« Derrière le comptoir, la grosse barbe avec un bouton sur le nez. ».

« Rhô? »

Tchac, une flèche et le patron n’a plus de bouton.

« Dis-moi, l’ours, c’est lequel, ton patron? »

« Hum... La couette juste en avant de moi. »

« C’est bon pour cette fois, Rhô, pas besoin de tirer. »

Glahul : « Et comment tu t’appelles, l’ours? »

« C’est Lassik. »

« Bienvenue les gars, bienvenue dans la horde de Gorghor Baey. C’est comme ça tous les jours. »

VII. Rhô

Gorghor Baey

IX. Robert