Province de Jodogne, Andore, aoust 996
Nous voilà enfin arrivés. Après plusieurs semaines de voyage, la fameuse vallée de « bicolline ». Sur la colline de gauche, le château fort du Seigneur Illendel. Sur la colline de droite, de l’autre côté du vallon, le campement des forces du chaos. Gorghor veut faire de nous des mercenaires, mais je préférerais ne pas trop frayer au château d’Illendel, étant donné ma récente condamnation en son nom. Gorghor prend la parole :
« Allons voir le Seigneur en premier, il est sûrement plus riche. »
Plan B. Puisqu’on ira voir la noblesse andorienne, je tâcherai d’être discret. On ne discute pas avec Gorghor.
« Les gars, on se tient tranquilles pour l’instant, c’est pas tout de suite la bataille. Glahul, ton épée dans le fourreau. »
Il n’y a personne dans le vallon entre les deux camps, mais beaucoup d’activité derrière les positions de chaque côté. On se dirige vers des troupes andoriennes qui font des exercices militaires. Les hommes se mobilisent rapidement quand ils voient notre groupe arriver. Les mains vont sur les poignées des armes. Gorghor :
« Ayez pas peur les beaux soldats, on est pas venus pour vous faire la peau aujourd’hui. On est venus se faire engager. »
Les andoriens restent stoïques, un appelle leur capitaine. Un grand blond aux cheveux longs, avec une armure à 1000 solars, traverse leurs rangs pour venir nous parler. Il s’adresse à ses hommes :
« Les gars, il faut accueillir la visite comme il faut. Je vous rappelle que chez Brabancourt, l’amitié c’est notre proverbe. Ces hommes viennent pour s’engager avec nous, disons-leur merci. » Il se tourne vers Gorghor : « Bienvenue! Je suis Henryk, chevalier de l’Andore. Vous avez pas l’allure de nos recrues habituelles, mais on pourra vous trouver une place dans - »
« Pas trop vite l’armurette. On a pas dit qu’on se battrait pour toi. On a dit qu’on voulait se faire engager. On est des mercenaires, on est à vendre. »
« Ah bon? Nous défendons notre bon Seigneur contre les armées du chaos. Ici, les gens se battent pour l’honneur et la loyauté. Vous voulez qu’on vous paye pour ça? »
« Ouais. »
« Hum... C’est que, d’habitude, les gens ne demandent pas de salaire. Vous voulez vous battre pour nous ou pas?... »
Une femme sort de derrière les rangs. Pas une femme, plus qu’une femme. Elle est plus grande que tous les soldats autour d’elle. Elle a toute une stature, les hommes la regardent avec respect. Elle est habillée à la celte, probablement une cheffe de Dalryada ou Tarra. Il paraît que là-bas les femmes commandent au combat. En tout cas celle-là à la carrure pour le faire.
« Je me nomme Raya McRaft. Je suis avec venue avec mes hommes appuyer Illendel contre le chaos. Vous avez l’air d’avoir soif, prendriez-vous une choppe avec nous? »
Elle au moins elle sait parler aux hommes. Elle continue :
« Prenons le temps de faire connaissance, nous verrons bien si l’on peut s’entendre. »
« Moi, c’est Gorghor Baey. Lui, le celte, c’est Glahul, et l’autre celte, c’est Matémorh, deux bretteurs. Au milieu, la moustache au gros bouclier, c’est Don Miguel, il a été entraîné par Diego trois lames. Les cheveux blonds, c’est Mar… Hé, Marak est pas là? »
Signe de tête pour faire non. Marak est disparu il y a quelques jours, personne ne sait où il est. Gorghor continue la présentation.
« Bon... Le beau, c’est le Baron Robert, et lui... »
Plan C. Assumer mon rôle de baron et espérer que les jugements des magistrats régionaux ne se sont pas rendus dans cette zone de guerre.
« …et finalement Skeg, lui aussi de ma tribu. »
« ... Ah, et pis Rhô, je l’avais oublié. Un archer hors-pair. À c’t’heure que tu nous connais, combien tu payes pour nous avoir de ton bord? ».
« Par faire connaissance, je pensais à plus que seulement vos noms. Pour s’entraîner, les hommes pratiquent le Trollball. Vous voudriez faire une partie? Ça vous permettrait de nous montrer quel genre de combattants vous êtes. À moins que vous n’ayez jamais joué et que vous ayez peur de mal paraître? »
Définitivement, cette femme sait parler aux hommes.
« Gorghor n’a peur de rien. »
« Henryk, qu’en dis-tu? »
Henryk cherche des choppes pour la bière. Il semble hésiter à piger dans sa réserve personnelle. « Une partie de trollball? D’accord, nous cherchions justement des opposants. »
Et nous voilà embarqués. Le Trollball est un exercice relativement simple qui permet de voir l’habileté à manier les armes et développe le travail en équipe. Deux équipes s’affrontent à l’épée pour mettre une tête de troll dans un baril. Nous affrontons l’équipe d’Henrick. Dans chaque équipe, il y a deux « guérisseurs » qui peuvent ramener au jeu les blessés lors de la partie. La partie de Trollball se déroule bien, les hommes de Gorghor, bien que rustres, sont habitués de se battre pour leur survie et savent travailler en équipe. Après quelques minutes de jeu, Gorghor vient nous voir :
« Les gars, si l’autre bord n’a plus de guérisseurs, ils ne pourront plus revenir au jeu. »
Le plan est simple mais ingénieux. En commençant par les guérisseurs, en moins d’une minute, il n’y a plus un joueur utile de l’autre côté. Les arbitres se consultent. Personne n’avait prévu cela. Il faudra changer les règles. Une fois la victoire confirmée, on termine la partie dans un esprit de camaraderie.
Henryk semble avoir apprécié notre habileté et notre ruse. On partage une choppe avec les gens de Brabancourt. Henryk nous donne du « les amis ». Les hommes de Gorghor ont plusieurs bières dans le nez, ils commencent à être désagréables. Ils insultent les soldats, les provoquent, mais ceux-ci se retiennent devant leur capitaine. Don Miguel s’adresse à moi :
« Belle armée de barbares et de dégénérés que tu m’as trouvé là. »
« Quand je t’ai trouvé, tu n’avais plus un rond pour payer tes déboires, et tu monologuais avec un portrait du Roi Solar. Comptes-toi chanceux que j’aie récupéré tes belle bottes. »
« Mmph... »
Henryk dit ne pas avoir de solars à offrir à Gorghor, mais s’engage à rencontrer le Seigneur Illendel pour lui demander si cela pourrait être possible. Gorghor décide de quitter le camp. Henryk nous dit en guise d’au revoir :
« On se reverra sur le champ de bataille? ».
Glahul hoche de la tête en signe de « oui, oui ».
Deuxième mission : aller voir l’autre camp. Il faut traverser le vallon. Cette fois, l’ambiance est tout autre. Le camp est un mélange confus de bandes de brigands, de légionnaires chaotiques, d’elfes noirs, de demi-orques, et autre racaille armée. Notre groupe se mêle bien au décor. Nous pouvons entrer dans le camp sans être questionnés. Gorghor apostrophe un quidam :
« On vient se faire engager. On veut voir le chef. ».
« Suivez-moi. »
Il nous emmène au centre du campement. Il y a un estrade avec un trône au-dessus. La Reine Noire est là, elle passe en revue ses troupes. Elle est grande, mince, vêtue tout en noir. Cheveux de feu. Visage cadavérique, lèvres noires. Gorghor fait son chemin à travers la foule pour se rendre devant elle. Nous le suivons. La Reine:
« Et à qui ai-je affaire? »
« Je suis Gorghor Baey, et eux ce sont mes hommes. On vient vendre nos services. »
« Salutations Gorghor. Et qu’est-ce que je pourrais bien te donner pour te faire plaisir? »
« Toi! »
Pause. Visage impassible quelques instants, puis sourire.
« Ah ah ah tu te flattes, Gorghor. Cela serait en effet un grand cadeau, et je ne le donnerais qu’à celui qui me conférerais la victoire. Discute avec un de mes apôtres afin de voir si l’on peut s’entendre. »
Elle pointe une tente juste à côté. À l’intérieur, un grand maigre à l’air sadique. Cape noire, teint pâle, collier à la croix de Tératos; on avait pas besoin de tant d’indices pour savoir à qui on a affaire. Matémorh pointe le grand maigre puis son cou à Glahul. Glahul devient un peu pâle. On dirait qu’ils se sont déjà rencontrés. Gorghor :
« La Reine nous a envoyé te voir. On est ici pour se faire engager. »
« Je suis Migramar, apôtre de la Reine Noire. On prendra bien vos épées, mais on a rien à vous offrir. Vous pouvez vous dire que vous vous battez contre l’oppresseur si ça vous fait plaisir. De toutes façons, avec ce qu’on fait aux morts, vous êtes mieux de notre côté que de l’autre. » Petit rire sadique. Gorghor :
« Si t’as rien à m’offrir, peut-être que l’autre bord aura quelque chose... »
« À l’air que vous avez, je doute qu’ils veulent de vous de l’autre côté. J’ai bien peur qu’on soit pris avec vous. »
« Attention à comment tu me parle, grand fendant. J’en ai déjà vu des comme toi, et ils ont pas bien fini. »
« À d’autres peut-être. Mais sache barbare que les apôtres de la Reine Noire sont immortels. Plutôt que de mourir, mon corps entrerait dans la terre et reviendrait plus tard vous retrouver. »
Gorghor regarde Glahul et Matémorh en fronçant les sourcils. « On part d’ici, on ne nous prend pas au sérieux. »
L’apôtre : « À bientôt. ».
Le soir tombe. N’ayant pas eu d’offre convaincante ni d’un côté ni de l’autre, Gorghor décide de monter le camp au milieu du vallon, entre les deux collines. Tant mieux, le moins on s’approche du château, le mieux je me trouve. Matémorh et Glahul expliquent avoir déjà vu un autre apôtre de la Reine Noire, et selon ce qu’ils racontent, si l’histoire de Migramar est vraie, il se pourrait qu’ils revoient leur ancien ami et que celui-ci ne leur veule pas du bien. Eux aussi sont contents de camper dans le vallon.
Peu de temps après avoir fini de monter le campement, Raya se présente au camp. Elle voulait me voir.
« J’ai bien aimé votre performance au Trollball, j’aimerais que vous vous battiez avec nous. Henryk voudrait vous rencontrer. »
« Je vais aller chercher Gorghor... »
« En fait, je préférerais que ce soit toi qui vienne, et seul. Ta noblesse fera meilleure impression sur Henryk, et si je me fie aux chansons que j’entends autour du feu de tes compagnons, ils ne feront pas un bon effet auprès des chevaliers andoriens. Sans compter que tu as bien plus belle allure.» Clin d’oeil complice.
Pourquoi moi? A-t’on découvert mon identité? Est-ce un piège pour m’attirer auprès d’Illendel? Est-ce que ce clin d'oeil invite à autre chose? Plan D.: trouver une façon de me défiler.
« Je dois demander à Gorghor, attends-moi quelques minutes. » Quelle histoire pourrais-je lui raconter?
En me retournant, je constate que Glahul était derrière moi et qu’il a probablement tout entendu. Le plan D. n’aura pas duré longtemps. Je me résigne à répéter scrupuleusement mon échange avec Raya à Gorghor. Il m’envoie faire l’ambassadeur en son nom. Le plan E. sera de compter sur la chance.
Au camp d’Illendel, Henryk m’attend à une table sous une tente.
« Ah, Baron Robert, je suis content de te voir. Je voulais parler avec quelqu’un qui serait sensible à la loyauté d’un vassal à son Seigneur. Moi aussi un jour j’aimerais bien être anobli. Quel est le nom de votre baronnie, déjà? »
« Bonsoir Henryk. Tu avais une offre à faire à Gorghor Baey? »
« Pas vraiment, le Seigneur Illendel n’avait rien prévu pour engager des mercenaires. Cependant, je lui ai vanté votre adresse au Trollball, et je compte sur l’amitié que nous avons développé pendant la journée. Je voudrais vous faire l’honneur de rencontrer le Seigneur Illendel afin qu’il vous convainque de joindre nos rangs. Suivez-moi et nous- »
Ça sent le piège! Plan F. : gagner du temps!
« L’honneur que vous me faites est grand, mais je ne suis pas autorisé à rencontrer seul le Seigneur sans mon chef, cela serait considéré un désaveu de sa personne et j’y risquerait beaucoup. Pourrions-nous remettre cette rencontre à demain? » Me laisseront-ils repartir?
« La bataille est pour bientôt et je ne sais pas si nous aurons le temps de nous revoir avant que les combats commencent. Est-ce que je peux compter sur toi qu’on se verra demain sur le champ de bataille? »
« On se verra demain sur le champ de bataille. »
Je retourne libre au camp. Je rapporte à Gorghor Baey que même s’ils aimeraient que l’on combatte avec eux, les andoriens n’ont rien pour nous payer. Il est plutôt contrarié qu’aucun des belligérants n’ait pensé à lui. Il dit :
« On va leur montrer ce que ça coûte de ne pas engager Gorghor Baey ».
Glahul : « On va le montrer à qui exactement, Gorghor? »
Gorghor lance un solar en l’air. « Robert, roi ou hippocampe? »
« Hippocampe? ». La pièce touche le sol.
« Roi, tu as perdu. C’est le roi qui va regretter. »
Moi et les jeux de hasard, c’est deux.
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