Province de Jodogne, Andore, 996
« Aubergiste, à boire! »
« Mon père est comte, je suis comte, le comte de Florenza. Ah-ah! Tu pensais avoir affaire à un vulgaire ivrogne de taverne mal famée, mais non, je suis comte… attend un instant - »
« Aubergiste, m’as-tu entendu? À boire, j’ai dit! »
« Enfin, je serai comte, quand je reprendrai ce qui me revient de droit, parce que mon scélérat de père m’a déshérité! Tu ne dis rien? Tu ne me crois pas? Si un jour nous devenons amis, peut-être que je te raconterai mon histoire... »
« Aaah, enfin ma choppe. Il était temps. Tiens aubergiste, voilà quelques piécettes pour t’engraisser la panse. »
« J’ai voulu me venger de ce salaud. Il n’y a rien que je n’ai pas fait. J’ai engagé des brigands pour brûler son moulin. J’ai engagé un fourbe qui s’est fait passer pour un envoyé du roi, lui récolter une taille imaginaire qui le ruinerait. J’ai même payé des barbares pour l’embusquer sur la route et mettre fin à ses jours...Tiens, toute cette histoire me donne soif. »
« Tavernier, un autre pot pour moi, et un pour mon ami! »
« Ça doit te donner soif toi aussi. Bois avec moi, buvons pour ce saligaud qui m’a déshérité. »
« Un jour, je monterai une armée pour aller reprendre mon dû. Tu sais que je suis capitaine? Eh oui, j’ai été entraîné au maniement des armes par le célèbre capitaine Diego Romuald. Oui oui, le Diego trois lames de la bataille de Valchie. Il m’a appris les armes, la stratégie militaire... et la trahison! Un autre salaud!»
« Buvons, mais ne buvons pas à ces salauds, buvons au comte Don Miguel di Florenza! »
« J’y étais, à la bataille de Valchie. Le comte de Daces, il avait fait quelque querelle au Roi. Je ne me rappelle plus trop, une histoire de cousinage ou n’importe quoi qui mène les hommes à la guerre. En tout cas, nous y étions, Diego et moi, pour les armées du Roi. Diego, c’est lui qui m’a entrainé aux armes, tu le savais? Capitaine aux gardes du Roi, qu’il était. À Valchie, lorsqu’on a conquis le donjon du comte de Daces, le félon a pris ses jambes à son cou, mais on a capturé sa fille, Marie. Aaahhh, Marie, ma belle Marie. »
« Aubergiste, apporte-moi une dernière carafe! Prends mes dernières piécettes, et prends ma bourse si tu veux pendant que tu y es, elle ne me servira plus à rien. Je dois boire à Marie, Marie que je retrouverai bientôt!»
« Aahh Marie...Elle vaut bien une autre gorgée! »
« Marie, quel caractère, mais quelles rondeurs si généreuses. Diego voulait l’emprisonner pour les crimes de son père, mais elle ne méritait pas cela. Elle était si belle, tu vois. Et elle m’aimait. Diego disait que l’amour m’aveuglait, il questionnait mon honneur envers le Roi. Nous nous sommes querellés à son sujet. Tout cela, jusqu’au soir faditique... »
« Tu ne bois pas beaucoup... tu n’as pas soif? Ça ne te dérange pas que je prenne ta chope? J’en ai bien besoin, et de toutes façons c’est moi qui l’ai payée... »
« Le soir fatididique, avant qu’elle soit transférée au donjon royal, j’ai tenté une dernière fois de convaincre Diego de ne pas le faire. Mais le Diego, il ne voulait pas m’écouter. Il refusait obstinemément de la libérer et s’entêtait de ne pas le faire. J’ai tenté de le convaincre de comprendre la grandeur de notre amour. Je lui ai dit que s’il avait passé la nuit que j’avais passée avec Marie, il pourrait lui aussi comprendre ce qu’était l’amour, et qu’il ferait la même chose que moi. C’est là que ce salaud a inventé un mensonge honteux, une calmonie, calamonie, calomnie impardonnable sur ma belle! Je bouillais de colère et j’ai vengé l’honneur de Marie! »
« ... »
« Ma chope est viiiide. Aubergiste, je...je t’offre mes bottes. De belles bottes de l’artisan François. Elle valent bien une autre choppe, mes bottes? »
« Et le salaud m’a déshérité rien que pour ça. Rien que pour la vie d’un petit capitaine aux gardes. J’ai engagé des barbares pour barbarer son moulin. J’ai pillé des brigandeurs pour attenter à sa vie de moulin. J’ai envoyé un fou-ourbe se faire passer pour le roi des envoyés... Pourquoi, penses-tu? Pour l’honneur de Marie!... Mais un jour, je monterai une armée, je te le dis... Et avec cette armée, je reprendrai mon dû... En attendant, je crois que je vais me reposer un peu la tête sur la table... »
« ... »
« Don Miguel? DON MIGUEL, TU M’ENTENDS? »
« Euuuh… Ro...Robert?... Qu’est-ce que tu fais là?... Tu peux me laisser me reposer? »
« Don Miguel, debout. Je te l’ai trouvé, ton armée. Lève-toi et suis-moi. »
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