Approuvé par son Altesse Sérénissime Karl Von Shlaffenmark 1er
Gloire à Son Altesse Sérénissime!
III. Glahul

Orléans-sur-l’isle, Province de Boisfort, Andore, 995


« Je suis blanc comme neige! J’ai rien à me reprocher! »

« C’est bon, c’est bon, pas besoin de faire des façons. C’est pas des comme toi qu’on cherche, nous on est là pour vous protéger. Il y a des bandes de barbares dans la région, et elles auraient été vues près du village. Faites attention à vous… et bienvenue à Orléans-sur-l’isle. Vous pouvez circuler. »

Matémorh me fait les gros yeux.

« Glahul, tu en mets un peu. Ce n’était que deux gardes du village, et ils n’avaient rien demandé. Je te rappelle qu’on a acheté cette pelle et cette pioche pour être d’honnêtes paysans à la recherche de terres à cultiver. Encore chanceux qu’ils n’aient pas fouillé nos paquets. On a de la marchandise à écouler. Pas certain qu’on aura des acheteurs dans ce village perdu. Il n’y a qu’une auberge et quelques masures. »

Matémorh, toujours prêt à faire la morale et toujours à penser à son pactole. C’est mon associé depuis toujours, mais il est grincheux comme un vieillard de 40 ans. Tiens, un drôle de bonhomme sur le chemin. Tout armuré comme un va-t-en-guerre, avec le plumeau sur la tête et tout.

« Hôlà, manants, je suis le chevalier Eirogam Satnaf, héraut du Seigneur Illendel de Jodogne. Je suis en mission pour informer les bonnes gens du royaume qu’une guerre se prépare et qu’il appelle les hommes capables de manier le fer à le rejoindre en son château. »

« Ouais, c’est très bien votre histoire, mais nous on serait plutôt de paisibles paysans venant de loin à la recherche de labeur pour nos pelles. » Coup de coude et clin d’oeil à Matémorh.

« Votre habillement laisse en effet croire que vous n’êtes pas d’ici. Drôle de vesture que voilà, qui ne couvre point toutes vos jambes. »

« Ça? Ce sont des kilts. C’est ça que les gens portent par chez nous, en Dalryada. En fait en Dalryada et en Tarra. Ce sont des îles, les îles celtes. Nous, on vient du hameau de Harbridge, au nord de Dalryada. En fait, on est partis de là-bas. Ben, on serait pas partis s’il n’était pas arrivé l’histoire avec la charrette. La charrette, elle était à nous, vu qu’on l’avait trouvé, mais le bailli, il disait que- »

« Glahul! »

« Heu, mon ami Matémorh à raison, en fait il a toujours raison. Cette histoire vous intéresse probablement pas. Je peux vous demander ce que vous faites tout armuré comme si vous alliez au combat? »

« Avez-vous entendu parler de la prophétie de Solara? »

« Pas vraiment, non, mais je sens que c’est pour bientôt. »

« En effet, moi aussi je le crois. Les prêtres de Solara ont prédit l’avènement d’un héros qui comblera tous les désirs de la déesse. Depuis, je parcoure le royaume à la recherche de quêtes pour être ce héros. Des rumeurs veulent que des agents du chaos préparent quelque coup dans la région, et je les contrecarrerai, sitôt que je les retrouverai. ».

C’est pas à ce zozo qu’on passera notre sépium.

« Ah?…Eh bien bonne chance messire. » Je lui fait une poignée de main.

Le sire nous salue et s’éloigne sur le chemin.

« Tiens Matémorh, le héros a échappé sa bourse. »

« Glahul, on avait dit qu’on restait discrets jusqu’à ce qu’on ait écoulé la marchandise. Je n’ai pas envie de devoir courir la route jusqu’au prochain village. Allons à l’auberge, c’est pas très loin. »

J’entends des cris à l’arrière.

« Glahul, regarde, c’est le fanfaron de tantôt. On dirait qu’il a trouvé ses ennemis. »

Des hommes d’apparence primitive sont sortis de nulle part. Ils sont quatre ou cinq, demi-nus, vêtus de poils, en jupette ou encore sur la tête. L’un d’entre eux crie « Marak! », et ils attaquent le chevalier. En plein village, juste à côté des gardes! Le pauvre chevalier dure pas une minute. Il est déjà mort, ils le dépouillent de ses pièces d’armure. Bien qu’ils étaient pas très loin, les gardes arrivent trop tard. Les barbares ont déjà filé dans les bois. Ils les rattraperont pas.

Il y a quelques minutes, c’est nous qui aurions été attaqués. On leur aurait donné du fil à retordre, mais on aurait pu y passer.

« Dans le village, et avec tous ces gardes. Soit qu’ils sont désespérés, soit qu’ils ont peur de rien. Allez, vaut mieux pas traîner ici. »

À l’auberge, il y a beaucoup de voyageurs. Étrange pour un village perdu aux frontières de l’Andore. Matémorh me regarde :

« Un héros, des barbares, des voyageurs. Il y a quelque chose qui se passe ici. Il y a de bonnes affaires à faire ici. » Il sourit. C’est rare qu’il sourit.

Le plan habituel. On se prend une bière et on cherche les louches. C’est facile de les reconnaître, ils boivent une bière en cherchant les autres louches.

Après quelques minutes, un homme s’approche de nous. Il a pas trop l’air d’un louche, plutôt d’un bourgeois. Il a des bijoux, il n’est pas habillé du coin. Un bon client potentiel.

« Messieurs, je vous observe depuis quelques minutes. Je ne suis pas de la région, et je ne connais personne ici. Vous avez l’air de deux braves, je me cherche des hommes discrets pour une affaire personnelle. »

« M’sieur, vous pouvez pas mieux tomber, la discrétion, c’est notre spécialité! ».

Non mais je rêve, le client parfait. Pas pour rien que les autres louches louchent aussi sur lui. Tant pis pour eux, cette fois c’est notre chance.

« J’ai une chambre à l’étage, allons parler là-haut à l’abri des oreilles indiscrètes. »

Nous le suivons. Dans l’escalier, Matémorh me chuchote à l’oreille :

« On ne le larbine pas tout de suite. Attendons de voir sa mission avant de le délester. »

Dans la chambre du riche qui connaît personne et qui est seul avec nous.

« Le chose est plutôt embarrassante pour moi. Ma fille a été ensorcelée. Elle refuse de m’obéir. J’ai trouvé un druide qui est prêt à conjurer le sort, mais j’ai besoin d’une escorte discrète pour m’aider à emmener ma fille jusqu’à lui. Comme ma fille n’est pas très consentante, l’affaire est plutôt délicate. Je sais que mon histoire peut paraître étrange, mais j’ai des documents qui prouvent qu’il s’agit bien de ma fille et - »

« Combien ça paye? »

J’y crois pas deux secondes à cette histoire de fille ensorcelée, mais ce qu’il veut faire avec la garce nous regarde pas. Matémorh hoche la tête, il est d’accord.

« Hum.. je m’attendais quelques questions, mais bon, je vois le genre d’hommes que vous êtes… et je suis plutôt désespéré. De toutes façon le résultat sera le même. 20 solars tout de suite, et 20 solars lorsqu’elle sera désensorcelée. »

« Ben, nous on peut pas garantir que votre druide va faire sa part du boulot. 25 solars à la livraison et 25 solars tout de suite. »

«  Marché conclut.Voici le plan :... »

Le soir venu. Le plan fonctionne comme prévu. On a versé la petite potion qu’il nous a donné dans la coupe de sa fille. Comme il disait, ça lui a donné une folle envie. On l’a cueillie aux chiottes de l’auberge. Et hop encordellée, et hop en chemin vers les bois. Le druide est supposé nous attendre dans une clairière en haut de la colline. Le bourgeois sera là lui aussi. Jusqu’ici c’était 25 solars facilement gagnés.

En arrivant dans la clairière, c’est la nuit noire. Le bourgeois est là, une torche à la main. Il est pas seul, il y a quelques autres personnes autour de lui. Pas apparence de druide. Ça sent pas bon. Matémorh:

« On lui remet la fille, on prend nos pécunes, et on file au plus vite ».

Matémorh reculerait jamais s’il y a 25 de ses solars à moins de 10 toises de lui.

« Ah, vous voilà. N’hésitez pas, avancez, je vous attendais ».

Il a un drôle de collier dans le cou. Une espèce de croix, mais avec des branches en plus. J’ai toujours l’oeil pour les bijoux, et celui-là, il l’avait pas au village. On s’avance.

« Allez, n’ayez pas peur, on ne veut que la fille ».

Il y a tout un enchevêtrement de cordes entre les arbres. Les amis du bourgeois ont un regard sadique. Pauvre garce, elle va passer un mauvais quart d’heure.

« On a fait notre part, voici la fille. Il manque que nos solars. »

« JE SUIS GORGHOR BAEY! »

Ça crie dans les bois. Les barbares! Ils attaquent les sbires du bourgeois. Les sbires ont de beaux couteaux, mais pas spécialement faits pour se battre. Matémorh a déjà filé. Je détale dans la forêt, mais le bourgeois bouge pas. Les sbires sont morts, pas un barbare par terre. Le plus grand barbare s’avance vers le bourgeois. Il est chauve sauf une longue couette noire droite sur le dessus de la tête. Sa barbe aussi n’est qu’une longue tresse noire. Il a un sapré gros marteau. Il dévisage le bourgeois, mais celui-ci n’a pas l’air trop impressionné. Les barbares ricanent. Je suis bien caché. Le bourgeois a quelque chose à dire :

« Stupides barbares écervelés. Vous ne savez pas à qui vous vous en prenez. Je suis Ulgramar, apôtre de la Reine Noire, qui sera bientôt parmi nous. Même si vous avez perturbé cette cérémonie avec votre distraction de ce soir, sa venue est inévitable! »

« TA GUEULE! »
Le barbare lève son marteau pour frapper.

« Attinaï – Bertaku – Verra! »

Le barbare est projeté brusquement vers l’arrière de plusieurs toises! Le bourgeois était un mage! Le barbare s’est assommé contre un arbre, il essaie de se relever en grognant mais trébuche. Il rage et ne semble pas très heureux de la situation. Les compagnons du barbare le sont pas non plus. Ils se dirigent vers le magi-bourgeois. Celui-ci recule tranquillement.

«  Ne m’approchez pas, ou vous aurez droit au même sort que votre chef! »

Les barbares hésitent. Un avec une grande chevelure blonde essaie de frapper le mage, mais s’envole à son tour et disparaît entre les arbres. Le magi-bourgeois s’éloigne de plus en plus rapidement. Un barbare a réussi à se glisser dos au magi-bourgeois, crie « LE NOIR! » et le frappe avec sa hache. Le mage est blessé, bégaie, mais réussit quand même à faire son incantation et se débarrasser de son attaquant. Les barbares sont de plus en plus hésitants à avancer. Un d’entre eux a un animal mort sur la tête. Il lance des regards méchants et semble le maudire en lui lançant de petits objets au visage. Le magi-bourgeois se sauve dans la forêt. Moi aussi je déguerpis avant qu’on me voie.

Une heure plus tard, de retour au village. Matémorh m’attend à l’auberge. J’ai rapidement droit à son opinion.

« Ce mage nous doit 25 solars. Je suis d’accord qu’on essaie la méthode douce pour récupérer notre dû, il était quand même assez puissant. »

Il a même pas envie de l’éviter. Il y a déjà tout pensé :

« Et puis, c’est pas vraiment sa faute si les barbares l’ont empêché de nous payer. On est mieux de reprendre la route tout de suite, je ne pense pas qu’il reviendra au village. »

La chance est de notre côté. On retrouve le mage sur le chemin au lever du jour. Il a l’air étonné de nous voir.

« M’sieur, attendez, on voulait vous parler. » Il nous attend.

« M’sieur, désolé pour hier soir, on savait pas pour les barbares. Nous, on a quand même livré la fille comme promis. Matémorh et moi, on pense qu’on mérite nos 25 solars. »

« Attendez, je n’en crois pas mes oreilles. Vous venez me trouver après ce que vous avez vu hier soir, et vous avez espoir que je vous donne vos solars. C’est trop drôle. »

Ça regarde pas bien. Matémorh a la main sur son épée. Pense à ce qui est arrivé à deux couettes, Matémorh, penses-y bien… Le magi-bourgeois est un peu nerveux, il nous regarde d’un à l’autre, particulièrement nos mains. Il a vraiment le goût de faire son sort.

« Non non non m’sieur je me suis mal exprimé. En fait, nous avons bien admiré votre puissance hier, et nous sommes présentement sans emploi. On se disait que vous auriez peut-être d’autres besognes pour nous -  »

« Attinaï – Bertaku – Verra! »

Matémorh est là et je suis encore à ses côtés. C’était pas pour nous.

Le barbare à la tignasse blonde a essayé de sortir de la forêt mais il y est retourné assez vite. L’affaire, c’est que quatre autres barbares arrivent d’un coup.

« JE SUIS… GORGHOR BAEY! »

Voilà deux couettes. On l’aurait reconnu sans son cri. Vraiment pas génial, le truc de crier son nom avant de frapper. Cette fois par contre, lui et sa bande chargent le mage de tous les côtés en même temps, de sorte qu’il n’a pas le temps de faire ses petits mots magiques.

Je pense vite à l’issue du combat. Je décide de me mettre à frapper le mage. J’ai un instinct infaillible pour ce genre de situation.

Le mage est terriblement endurant. Il peut plus rien faire d’autre, mais il encaisse les coups et il y en a beaucoup. Il a aussi droit à de nombreuses insultes à thème de cul ou de ce qui en sort. Le Gorghor Baey n’a pas l’air d’un homme qui fait de la demi-mesure avec sa vengeance.

Tout d’un coup, « CRAK », la terre s’ouvre et le mage disparaît dans le sol. Sa toge devient toute molle et s’affaisse au sol. Les barbares semblent d’abord déçus de plus avoir de cible, puis se rendent compte que Matémorh et moi sommes pas vraiment de leur bande. Ils nous dévisagent et ont toujours leurs armes en main, pré-ensanglantées. Plusieurs ont de l’écume qui coule de la bouche, le regard fou. Je pense vite :

« Victoire! Bien fait pour toi, mage-merde! Bravo, compagnons! »

Une brève hésitation, puis les barbares crient victoire en choeur et se font triomphants. Ouf, échappé belle. Je retiens vivement Matémorh qui allait fouiller dans la toge. Je décide d’engager la conversation.

« Bravo à vous, Ô Gorghor Baey. Vous êtes clairement le plus terrible et le plus puissant. Ce mage avait de grands pouvoirs et vous l’avez terrassé. Je me présente, Glahul, et voici Matémorh. Nous sommes honorés d’avoir pu combattre avec un si grand guerrier. Je trouve d’ailleurs que... »

« Garde ta salive pour ta femelle, Ô Glahul, tu commences à avoir la langue brune. Ce mange-merde aurait pas dû faire sa magie sur Gorghor Baey, il a ce qu’il mérite. C’est bien que vous l’ayez distrait pendant qu’on l’encerclait.»

Il crache sur la toge vide du mage.

« Si t’es aussi habile avec ton épée qu’avec ta langue, tu peux nous suivre. Il paraît qu’il y a une guerre qui se prépare au nord, on va vendre nos services comme mercenaires. »

Il s’éloigne avec sa bande. Matémorh :

« Si on s’allie avec lui et qu’on ne meure pas, il n’y a pas de limites aux richesses que nous pourrons acquérir.»

« En ce qui à trait à pas se faire tuer, t’inquiète pas, je suis un expert. »

On se regarde en souriant et on suit le Gorghor.



II. Vordrak

Gorghor Baey

IV. Robert