Terres dévastées du sud, vers 985
Les signes étaient là.
Je le sais parce que j’étais là.
La Grande Marmotte s’est réveillée pendant la saison froide.
La Vieille Ourse a eu un petit au poil blanc.
Le Poisson d’Or a remonté la rivière et la rivière est devenue de sang.
Les signes ne mentent pas.
Je le sais parce que je les ai vus.
Il y a treize lunes la femme a été retrouvée dans la forêt.
Dans le ventre de la femme est l’enfant.
Depuis trois nuits elle crie pour le faire sortir.
Je le sais parce que j’étais là.
La mère crie comme la brebis qui met bat.
Le bras de l’enfant sort d’entre ses jambes.
La mère crie comme la brebis qu’on égorge.
Le bras gratte le sol et tire pour sortir.
La mère crie comme la brebis qu’on saigne.
Je peux partir.
L’enfant n’aura pas besoin de moi.
Je le sais parce que je l’ai vu.
Dehors le tonnerre déchire le ciel de la nuit.
Dans la yourte la mère crie la mort.
L’enfant ricane.
La mère gémit de peur.
L’enfant grogne.
La mère crie.
L’enfant crie plus fort que la mère.
Le cri de la mère se bloque dans sa gorge.
L’enfant hurle pendant plusieurs tonnerres.
La mère ne dit plus rien.
L’enfant lance un cri de victoire.
Je le sais parce que je l’ai entendu.
L’enfant sort de la yourte.
Il marche comme l’homme.
Il regarde comme le loup affamé.
Le soleil se lève.
L’enfant regarde le soleil et ses yeux brûlent.
Il se cache les yeux pendant un souffle.
L’enfant regarde le soleil.
Il regarde comme le jeune loup qui défie le chef.
Il crie de haine et regarde sans fermer les yeux.
Le soleil disparaît.
Tout est noir le temps du cri du corbeau.
Le soleil revient.
L’enfant est parti.
Son destin est écrit.
Je le sais parce que j’étais là.
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