D'esprit et d'estoc: Le Tournoi des Nations (Bicolline) Un jeune écuyer prenait une pause méritée, installé confortablement dans la paille servant à garnir la litière du
destrier de son seigneur. Les pieds posés sur l’arçon de la selle encore au sol, il tenait dans ses mains un petit
livret dans lequel il écrivait d’une main calme et posée. L’odeur du cuir et de l’acier le faisait toujours rêver.
« C’est le début de la faim, alors que la peste tire à sa fin. Le monde de l’Hippocampe tremble du
bruit des gargouillis de la panse de nos habitants, avides de prendre les bouchées doubles afin
de rattraper le temps perdu.
Sans qu’elles ne soient présentes sur aucune lèvres, moults questions sont
pourtant dans nos esprits : veut-on vraiment rebâtir comme avant ou doit-on se servir de ce
génocide envoyé par les dieux afin de construire quelque chose de nouveau ? Va-t-on renaître de nos
cendres ou faire feu de tout bois ? Et quel sera le coût de cette reconstruction ?
Toutes les nations du monde se donnent rendez-vous afin de s’affronter à nouveau. Des champions
sont dépêchés de partout afin de prouver au monde entier que leur région a non seulement vaincu la
peste, mais est encore assez puissante pour mener des guerres.
Mais aucun seigneur ne désire s’affaiblir plus qu’il ne l’est déjà. Les rues et places de toutes nos
capitales débordent déjà de veuves et d’orphelins et il n’y a aucune gloire à achever un adversaire
ayant déjà un genou en terre. Voilà pourquoi les affrontements prennent la forme de tournois et de
compétitions plutôt que de massacres et de coups d’estoc. La grande peste aura eu cette conséquence
bénéfique, les grands seigneurs auront peut-être appris la valeur de la vie humaine.»
Un grand gaillard, issu d’une noblesse certaine, se tenait silencieusement derrière le jeune homme. Il allait
renvoyer l’écuyer à son boulot prestement quand son regard rencontra les dernières lignes du texte qui se
rédigeaient devant lui. Son regard dur s’adoucit et le grand seigneur demeura immobile, contemplant avec
mélancolie la candeur de son écuyer.
Sa main gantée se posa doucement sur sa besace. À l’intérieur, un document recopié en plusieurs
exemplaires, tous portant son sceau personnel. Dès la tombée de la nuit, toutes les garnisons de la région
recevraient l’ordre de se préparer à la guerre. Il faut frapper pendant que l’ennemi est au sol. Alors que les
soldats s’harnacheraient, lui irait participer aux tournois, question d’apprendre lequel de ses adversaires
avait été le plus durement touché par la peste. |